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Rencontre Avec Didier Daeninckx

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définis le parcours d’un personnage dont tous les rêves sont trahis dans la même seconde : l’amour qu’il porte instantanément à cette femme en rouge et noir, ses idéaux. Chéri-Bibi se serait contenté d’un énorme "Fatalitas".

Agnès Ladurée : Il paraît que vous aviez aimé lire Les Thibault. Avez-vous vu sa version télé récente avec Jean Yanne, et si oui, qu’en avez-vous pensé ?

Didier Daeninckx : Je me souviens précisément de la lecture de cette saga historique et sociale. Je m’y suis plongé au milieu des années soixante, à la recherche de cet alourdissement de l’air, avant 1914, de cette sensation de nuées noires qui s’accumulent au-dessus de l’Europe. J’essayais alors de comprendre ce qu’avaient vécu mes grands-parents, de suivre le fil qui se brise à Sarajevo sans me douter alors que cette rupture diviserait à nouveau l’Europe au coeur des années 90. L’oeuvre de Roger Martin du Gard avait été publiée dans la collection du Livre de Poche que le voisin du dessus, monsieur Trioux, collectionnait. J’étais ami avec ses enfants, et je pouvais prendre ce que je voulais dans sa bibliothèque, la seule que je connaissais. C’est grâce à lui que j’ai lu quelques centaines de bouquins, de manière hasardeuse, éclectique. Par la suite, lisant "Les Beaux quartiers" ou "Les voyageurs de l’Impériale" de Louis Aragon, je me suis retrouvé, pour part, dans l’univers d’avant l’apocalypse décrit par Martin du Gard. Et difficile de citer cet écrivain sans rappeler qu’il fut, avec Queneau et Gide, l’un de ceux qui se penchèrent dès le début sur les manuscrits de Jean Meckert.

Agnès Ladurée : Comme il y a souvent des télés allumées dans vos romans, est-ce que vous la regardez beaucoup ? Si oui, quels types de programmes ?

Didier Daeninckx : Il y a en effet pas mal d’allumés dans mes romans, dont des télés. On ne peut pas dire que cela soit une métaphore de la "lumière intérieure". J’ai été assez marqué par les premiers films de Wim Wenders, par ces personnages qui vivent la musique, le rock souvent, pour lesquels elle est un élément d’absolue nécessité, une partie de la sensibilité, et qui se retrouvent coincés dans des chambres d’hôtels où une télé repeint les murs en bleu blafard. Quelquefois en panne mais allumée. C’est une compagnie aussi importante que le clignotement d’un enseigne au néon. Ou un chien qu’on aurait même pas besoin de caresser. On a une icône de l’humain pour se persuader que le contact existe. J’ai encore écrit, la semaine dernière, une nouvelle sur la télé et je m’apprête à en bâtir un autre dans les heures qui viennent. Sur le thème éternel que l’écran sert autant à masquer qu’à révéler. Quand je m’étais mis à "Zapping", un recueil d’un vingtaine de nouvelles sur les étranges lucarnes, c’était à partir d’une réflexion : à force de regarder le monde au travers du rectangle lumineux, la cornée perdait de sa souplesse, de sa sensibilité et devenait aussi dure que le verre bombé ou l’écran plat. Le monde électrifié dîne devant le spectacle des massacres. Je ne pense pas que cela soit sans effets.

Agnès Ladurée : Le principe de la collection Polarchives fait immédiatement penser à votre travail. Il y a plein de différences, bien sûr, c’est une série avec personnages récurrents, éléments imposés, et plusieurs auteurs. Mais je dirais que la plus grosse différence avec vos romans assez pudiques, c’est que le personnage d’Antoine, l’ami de l’héroïne, doit être « érotomane ». J’aime l’énergie de cette collection, mais au moment de faire passer cet Antoine à la casserole, on dirait que les auteurs de la série sont plombés, comme s’il n’y avait aucun rapport entre le principe de la collection et cet impératif. Peut-on savoir ce que vous en pensez ?

Didier Daeninckx : Le problème des rapports amoureux s’était déjà posé, dans le cadre d’une collection, avec le Poulpe. J’ai toujours préféré suggéré, à la manière des cinéastes qui font l’ellipse quand la chute du couple creuse l’édredon. Comme le Poulpe et Chéryl (Cher il ?) se fixaient des gageures pour la nuit, j’avais trouvé cette réplique qui pour moi vaut une scène (d’amour) : "Sans les mains !". Je suis assez peu voyeur, plus amateur de trouble comme dans les films d’Hitchcock bourrés d’indices freudiens, balisés par le désir, sans qu’il soit jamais, sur l’écran, dans son accomplissement. Qu’on se souvienne d’un couple sur une couchette de wagon lit et du train, avec sa fumée, entrant en sifflant dans un tunnel obscur. Ou de certain pique-nique, toute charcuterie dehors, près de la maison du Docteur Edwards.

Gérard Streiff : Qu’il nous parle un peu de son séjour en Nouvelle Calédonie ; compte-t-il écrire sur le sujet ? un polar ?

Didier Daeninckx : Je suis retourné en Kanaky, à la rencontre des arrières-arrières petits-enfants des Kanak exposés en 1931 derrière les barreaux du Jardin d’Acclimatation, lors de l’Exposition coloniale, puis dans les zoos d’Allemagne. Tous les gens de la tribu de Canala avaient lu "Cannibale" et la grande majorité avaient découverts cet épisode de leur histoire par le biais du livre. Depuis, toute une partie du vécu remonte à la surface, et les établissements scolaires, les bibliothèques du coin rassemblent tout ce qui s’est écrit, s’est photographié, s’est enregistré. L’émotion est palpable, et je dois y retourner, en juin ou juillet, pour poursuivre cet inventaire de faits et d’émotions. La révélation de cet épisode datant de 70 ans a sensiblement modifié les lignes du débat, en Calédonie. J’ai pu participer à de nombreuses rencontres avec des écrivains, des historiens, qui défrichent la réalité du colonialisme sur une terre dévolue à un "peuplement pénitencier", et où la tentation de l’éradication d’un peuple a été suivi d’effets. J’ai tissé, là-bas, des liens très profonds, et je me sens vraiment concerné par les efforts que font nombre de Kanak et nombre de Caldoches pour créer ensemble un pays souverain.

Sinon, à partir de al rencontre avec Olsa, une gamine de Canala, j’ai écrit un texte "L’enfant du zoo" qui sera publié au printemps dans la collection romanesque de Rue du Monde où figurent déjà des fictions de Bernard Chambaz ou Dominique Sampiero.

J’ai des projets d’histoires se situant en Calédonie, ou de fragments d’histoires qui s’insèreront dans des fictions "métropolitaines". J’ai surtout en tête les bribes d’un roman ou d’un récit ancré dans un archipel proche, le Vanuatu. Le "Snark" de Jack London, racheté par un planteur, a longuement frôlé les côtes d’Efate, de Tana, mouillé dans les eaux de Port-Vila... Je laisse les choses venir lentement pour me garantir de tout. "folklorisme".

Gérard Streiff : Question annexe : quand nous (me) fait-il un POLARCHIVES, sur les coulisses du journal Le Monde par exemple ?

Didier Daeninckx : Le problème, c’est le temps ! (et je ne dis pas ça simplement parce que le vénérable Monde a succédé en 1945 au quotidien Le Temps, reprenant ses locaux mais aussi la typo du titre, en faux gothique. J’aime bien le principe de Polarchives, et un texte comme "La route du Rom" qui, au détour d’une enquête du Poulpe, révèle l’existence d’un camp destiné au Gitans de la Manche, en 42-44, aurait pu y prendre sa place. D’autant que j’ai pu retrouver des textes historiques, des documents administratifs, établissant le fonctionnement de cet espace de relégation alors qu’aujourd’hui tout en a été effacé, jusque dans les mémoires. pour les coulisses du Monde, ou de Libération, ou du Figaro, je vais relire Bel Ami. Il me semble que Maupassant était un voyant.

David Melling : Tout ce que je sais du Bauhaus, c’est que c’était une école d’architecture et que les élèves recevaient l’enseignement d’artistes et d’artisans. Pourquoi cette école vous intéresse-t-elle ?

Didier Daeninckx : J’ai connu le Bauhaus grâce à un ami dessinateur et peintre, Jean-Pierre Coureuil, en 1969. Ce qui m’a surtout fasciné dans cette expérience artistique et pédagogique, c’est la recherche de liaison entre la création et l’industrie. Des peintres comme Kandinsky ou Paul Klee se frottaient aux créateurs de matériaux, de pigments, utilisaient les matières les plus courantes, n’hésitaient pas à croiser l’architecture, la sculpture, la poésie, l’imprimerie, à inventer le design. C’étaient des "décloisonneurs", des défricheurs de perspectives, pas étonnant que les nazis aient fermé l’école et classé ces irréductibles humanistes dans les "dégénérés" . à l’époque, j’étais ouvrier imprimeur et le soir, après le boulot, je filais à Bobigny où Coureuil animait une sorte de phalanstère. On bossait les textes du Bauhaus, on sculptait du carton ondulé, on dessinait à la déchirure... Je ramenais de l’atelier tout ce qui normalement était destiné au boulot : des plaques offset, des buvard, le caoutchouc des blanchets, les tubes d’encre et les pistolets. On détournait les éléments du travail pour en faire des peintures, des mobiles, des stabiles. L’air de rien, ça a à voir avec l’écriture : on prend les mots du quotidien, les décors négligés, méprisés d quotidien, et on fait apparaître leur densité poétique et

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