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Origine De La Philosophie

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Dans les premiers siècles de la vie sociale, avant l'établissement des lois, de l'ordre, de la sécurité. les hommes se souciaient peu de découvrir ces chaînes cachées d'événements qui unissent ensemble les apparences naturelles dont la liaison ne frappe pas au premier abord. Un sauvage dont la subsistance est précaire, dont la vie est exposée chaque jour aux plus imminents dangers, n'a nulle envie de s'amuser à chercher ce qui ne peut avoir d'autre avantage que de flatter son imagination en lui offrant la nature sous un aspect plus lié et par là même plus intéressant. Plusieurs de ces petites incohérences qui, dans le cours des choses jettent le philosophe dans une sorte de perplexité, échappent entièrement à l'attention du sauvage. Les irrégularités qui s'offrent avec le plus d'appareil, et dont l'éclat ne peut manquer de le frapper. le jettent dans une sorte de stupeur. Les comètes, les éclipses, le tonnerre, l'éclair. et d'autres pareils météores lui impriment par leur grandeur un sentiment de vénération qui approche de la frayeur. Son inexpérience, son ignorance sur tout ce qui l'entoure, ne sachant ni comment chaque chose arrive, ni ce qui doit arriver ensuite, ni ce qui a précédé, tout contribue à faire dégénérer ses premiers sentiments en terreur et en consternation. Mais, comme l'observe Mallebranche. toutes nos passions se justifient elles-mêmes, c'est-à-dire, qu'elles nous suggèrent les opinions qui peuvent les justifier. Comme ces apparences l'effrayent, il est disposé à croire tout ce qui peut contribuer à en faire des objets de terreur. Se persuader qu'elles procèdent de quelques causes intelligentes et invisibles, qu'elles sont les signes ou les effets de leur colère ou de leur vengeance, c'est de toutes les opinions la plus capable d'exalter cette passion, et par là même c'est de toutes celle qu'il est le plus prêt à recevoir. Ce penchant est favorisé par la défiance et la pusillanimité, si naturelles à l'homme non civilisé; privé de la protection des lois, seul et sans défense, il sent en toute occasion sa faiblesse, il n'en est aucune où il puisse sentir sa force et jouir en sécurité.

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Extrait de A. Smith: Essais philosophiques. traduits par Dugald Stewart. Paris, An V de la République (1797).

Adam Smith (1797), « L’origine de la philosophie ».

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Toutefois les irrégularités de la nature ne sont pas toutes d'un genre imposant et terrible : quelques-unes n'offrent que des beautés ou des plaisirs. La même disposition d'esprit que nous avons décrite, fera envisager ces apparences avec sensibilité, avec amour, même avec des transports de reconnaissance; car ce dernier sentiment est excité par tout ce qui cause du plaisir. Un enfant caresse le fruit qui lui plait, comme il bat la pierre qui l'a blessé. Les notions du sauvage ne sont pas fort différentes. Les anciens Athéniens punissaient solennellement la hache qui avait été cause d'un meurtre accidentel. ils dressaient des autels et offraient des sacrifices à l'arc en-ciel. Des sentiments assez semblables germent en certaines occasions dans le cœur de l'homme civilisé; mais une prompte réflexion les réprime, et empêche qu'ils ne se dirigent vers des objets auxquels ils ne peuvent convenir. Au contraire, celui qui n'est guidé que par la passion et par une nature sauvage, ne veut d'autre preuve de convenance entre un sentiment et son objet, que d'éprouver que l'un excite l'autre dans son âme. Le respect et la reconnaissance que quelques apparences de la nature lui inspirent, le convainquent qu'elles sont des objets convenables de reconnaissance et de respect, et par conséquent qu'elles émanent de quelques êtres intelligents, qui doivent prendre plaisir à voir exprimer ces sentiments. Tout objet donc dans la nature. qui, par sa grandeur ou sa beauté, son utilité ou sa malfaisance, est assez considérable pour attirer son attention, et dont les opérations ne sont pas parfaitement régulières, sera, selon lui, mis en action par l'influence de quelque pouvoir invisible et volontaire. La mer est réduite au calme, ou soulevée par la tempête au gré de Neptune. La terre se couvre-t-elle d'une abondante moisson, c'est à Cérès qu'est due cette faveur. La vigne donne-t-elle une riche vendange, c'est l'effet de la libéralité de Bacchus. L'une et l'autre nous refusent-elles leurs présents, on l'attribue au courroux de ces divinités offensées. L'arbre qui alternativement sèche et fleurit, est habité par une Dryade dont les maladies et la guérison produisent ces diverses apparences. La source, qui tantôt coule avec abondance et tantôt tarit ou semble nous envier ses eaux, tantôt claires et limpides, tantôt troubles et limoneuses, n'éprouve ces changements que parce qu'elle est affectée de ceux auxquels est sujette la Naïade qui y fait sa demeure. Telle est l'origine du Polythéisme, et de cette superstition vulgaire qui attribue tous les événements irréguliers à la faveur ou au courroux de quelques êtres intelligents, quoique invisibles, dieux, démons, sorciers, fées ou génies; car on peut observer que dans toutes les religions polythéistes, parmi les sauvages. aussi bien que dans les premiers âges de l'antiquité païenne, les événements irréguliers de la nature sont les seuls qu'elles attribuent à l'action et au pouvoir de leurs divinités. Le feu brûle et l'eau rafraîchit; les corps pesants descendent, les substances plus légères volent et s'élèvent, par la nécessité de leur nature propre; et l'invisible main de Jupiter n'a jamais été employée à produire de tels effets. Mais le tonnerre et l'éclair, le ciel serein et la tempête, étaient attribués à sa faveur ou à sa colère. L'homme, la seule puissance douée d'intention et de dessein qui fût connue aux auteurs de ces opinion«n'agit jamais que pour arrêter ou changer le cours que prendraient sans lui les événements naturels. Il était tout simple de penser que ces êtres intelligents que son imagination lui peignait, et qui lui étaient inconnus, agissaient dans les -mêmes vues, qu'ils n'employaient pas leur activité à favoriser le cours ordinaire des choses. lequel va de lui-même; mais bien à l'arrêter, à le fléchir, à le troubler. C'est ainsi que dans les premiers âges du monde, la superstition la plus vite et la plus pusillanime prit la place de la philosophie. Mais dès que la loi eut établi l'ordre et la sécurité, et que la subsistance eut cessé d'être précaire, la curiosité des hommes s'accrut, et leurs craintes diminuèrent. Le loisir dont ils purent jouir les rendit plus attentifs aux apparences de la nature, plus observateurs de ses moindres irrégularités, plus désireux de connaître la chaîne qui

Adam Smith (1797), « L’origine de la philosophie ».

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leur sert de lien. Ils furent d'abord conduits nécessairement à concevoir l'existence d'une pareille chaîne entre des phénomènes séparés au premier aspect. Et bientôt animés de ces sentiments d'élévation et de gaieté qu'inspire aux âmes généreuses l'éducation qu'elles reçoivent au sein d'une société civilisée, où elles trouvent si peu d'occasions de sentir leur faiblesse, et tant d'occasions de connaître leur force et leur sécurité; ils furent moins disposés à recourir, pour trouver la chaîne de liaison qu’ils cherchaient, à ces êtres invisibles qu'avaient forgés la crainte et l'ignorance de leurs grossiers aïeux. Ceux qui jouissent d'une situation aisée, et dont l'attention n'est pas fort occupée par les affaires ou les plaisirs, ne trouvent d'autre moyen de remplir le vide d'une imagination dégagée des soucis qu’entraînent les affaires ordinaires de la vie, que de contempler la suite des événements qui arrivent autour d'eux. Tandis que les grands objets de la nature passent ainsi en revue devant eux, ils en voient quelques-uns qui se suivent dans un ordre auquel ils ne sont point accoutumés. Leur imagination, qui accompagne avec facilité et avec délices la nature dans ses procédés réguliers, se trouve arrêtée et embarrassée par ces incohérences apparentes : elles excitent leur étonnement; elles semblent requérir une chaîne d'événements intermédiaires qui les lie avec quelque chose d'antérieur, et rétablisse dans l'univers ce cours uniforme, cet heureux accord qui en fait un tout bien lié. C'est donc l'étonnement, et non l'attente d'aucun avantage attaché à de nouvelles découvertes, qui est le premier principe de l'étude de la philosophie, de cette science qui se propose de mettre à découvert les liaisons sécrétés qui unissent les apparences si variées de la nature. C'est pour satisfaire ce sentiment que les hommes poursuivent cette recherche; ils y trouvent un plaisir ou un avantage primitif, et dont la jouissance les flatte, sans songer même à ses effets, et aux nouveaux moyens qu'il leur prépare pour se procurer d'autres plaisirs. La Grèce, et les colonies grecques de Sicile, d'Italie,

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