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Société Militaire Privée

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s officiers supérieurs démobilisés à la fin de la guerre froide. Ce mercenariat « entrepreneurial » est aujourd’hui en train d’évoluer, ces entreprises – lorsqu’elles ont réussi – étant revendues à des holdings dont elles constituent une fraction, souvent accessoire, du chiffre d’affaires. La sécurité tend ainsi à devenir un bien marchand ou un service ordinaire mis à la disposition d’acteurs privés ou publics, la demande publique étant au moins aussi importante que la demande privée.

Si l’étymologie du mot « soldat » nous ramène au « soldius », une monnaie romaine en or, alors les modernes « contractors » viennent refermer une parenthèse au cours de laquelle les citoyens des nations postrévolutionnaires ont chèrement payé l’impôt du sang. Le débat ainsi ouvert est cependant loin d’être clair, tant les positions sont aussi idéologiques que confuses (la signification distincte du terme « privatisation » entre les deux rives de l’Atlantique). Pour sortir de ces confrontations stériles où les opinions inventent sans cesse de nouveaux arguments pour justifier le bien-fondé des préjugés, il apparaît nécessaire de poser le problème autrement pour tenter d’aborder cette question si sensible en utilisant l’expérience historique sans être pour autant prisonnier du passé. S’interroger sur la question de savoir si la privatisation de la sécurité constitue désormais une norme internationale qui s’inscrirait dans le cadre d’une nouvelle « bonne gouvernance » peut être une voie susceptible de changer notre regard. Cette manière d’aborder le problème permet une plus grande neutralité puisque le recours au mercenariat serait, dans ces conditions, imposé par notre environnement lequel est constitué par des structures internationales sur lesquelles nous avons peu ou pas de prises aussi longtemps que nous ne sommes pas capables d’interagir avec elles.

La notion de « norme » est, il est vrai, imprécise comme le rappellent Klaus-Gerd Giesen et Kees Van der Pijl dès l’introduction de leur ouvrage consacré aux Normes Globales dans le XXIe siècle. Tant son énonciation que son application, sa création que sa diffusion, son contenu que son support demeurent incertains. La théorie des régimes, qui a introduit dans le domaine de la science politique l’étude de cette notion autrefois monopolisée par les juristes, n’a pas fourni de définition très précise en considérant avec Stephen Krasner que « les normes sont des critères de conduite définis en termes de droits et d’obligation ». Son support est tout aussi incertain, comme le montre l’article de Gary Goertz et Paul Diehl de 1992 sur la diffusion de normes éthiques portées par la communauté internationale et la nécessité d’étudier leur impact sur le comportement égoïste des acteurs. Quant à l’application et la diffusion de la norme, celles-ci demeurent tout aussi floues, en dépit des travaux de Martha Finnemore et de Kathryn Sikkink pour lesquelles la législation interne ou la ratification par un nombre significatif d’États formant « une masse critique » constituent la preuve de son effectivité. Un atelier récent consacré en septembre 2005 par Wolf-Dieter Eberwein et Yves Schemeil dans le cadre de l’Association Française de Science Politique « au mystère de l’énonciation des normes internationales » permet cependant, sur la base d’étude de cas, d’observer trois convergences quant au mode de création et de diffusion de la norme internationale. Son énonciation serait, majoritairement, le fait d’acteurs privés qui doivent trouver un soutien gouvernemental pour forcer les acteurs tiers à s’y conformer. Son origine géographique est essentiellement nord-américaine, ce qui est ici conforme aux théories de la stabilité hégémonique. Enfin, Eberwein et Schemeil reprennent la remarque Jean-Christophe Graz selon laquelle « l’univers de la normalisation internationale est en proie à un antagonisme profond, qui oppose les partisans d’une socialisation des normes internationales à ceux d’une mondialisation des normes marchandes », cette seconde tendance étant aujourd’hui « à l’offensive ».

Pour synthétiser ces différents travaux, il serait possible de considérer la privatisation de la sécurité constituerait une nouvelle norme internationale si trois conditions étaient remplies :

1. Que l’époque soit favorable pour accepter un nouveau type de comportement ou, en d’autres termes, qu’il y ait un changement d’orientation durable des vents dominants ;

2. Qu’un pays puissant prenne à son compte cette nouvelle orientation dans le cadre d’une très classique théorie de la domination, ou, pour reprendre l’image précédente, qu’un navire suffisamment imposant appareille pour diffuser cette nouvelle norme en profitant des vents dominants ;

3. Enfin, que l’opinion générale accepte d’imiter le modèle dominant sous l’influence de communautés épistémiques qui auront décliné la nouvelle norme dans des registres divers.

I - Les nouveaux vents dominants : le moment libéral

La fin de la guerre froide s’est traduite dans les pays traditionnels de conscription par un mouvement général de professionnalisation des armées. Cette tendance n’est cependant observable que dans les pays occidentaux, qui s’avèrent être les principaux producteurs de normes. Plusieurs raisons ont alors été invoquées : la disparition d’une menace clairement identifiée sur les frontières, la prise en compte des attentes de la société civile désireuse de profiter des « dividendes de la paix », la sophistication croissante des armements nécessitant des personnels de plus en plus qualifiés, lesquels devaient bénéficier d’une formation continue, la multiplication des opérations extérieures combinées au besoin de rassurer les opinions publiques…

De manière moins ponctuelle, cette professionnalisation des armées s’inscrivait dans deux tendances lourdes qui menaient inéluctablement à une privatisation de certaines fonctions sécuritaires.

Tout d’abord, le triomphe des idéaux démocratiques émancipait les individus et dissolvait l’identité nationale dans une pluralité d’identités (les « single issue groups » ou les « tribus »). Le nationalisme et encore plus le patriotisme avaient cessé d’être perçus – hormis lors de la coupe du monde de football – comme des valeurs positives et étaient même considérées comme des principes dépassés générateurs de violence, alors que le triomphe des idéaux démocratiques se traduisait inévitablement par l’élargissement aux questions extérieures de la culture de compromis propre aux démocraties. Les opinions publiques adhérèrent au thème de « la guerre zéro mort », qui, ignorant les exigences de l’action internationale, imposait aux États occidentaux de renoncer à « la levée en masse ». À côté de la guerre « zéro mort », l’idée que les sociétés occidentales devaient profiter de la fin de la guerre froide pour tirer parti des « dividendes de la paix » participait à ce mouvement général de « debellicisation » des sociétés modernes pour lesquelles le recours à la force cessait d’être un moyen « normal » du politique.

La fumigation des cultures de coca en Colombie, la protection d’infrastructures économiques en Afrique ou encore la formation d’armées régulières par les nouvelles entreprises de mercenariat « entrepreneurial » donnent dès lors une souplesse accrue à des pouvoirs publics qui ne sont plus dans l’obligation de convaincre des opinions publiques réticentes et d’obtenir l’adhésion de parlementaires peu enclins à autoriser l’envoi de troupes régulières. Cette sous-traitance devient dans ces conditions un instrument d’adaptation des politiques étrangères face à l’asymétrie revendiquée par les promoteurs des nouveaux conflits.

La seconde tendance lourde expliquant la professionnalisation tient à la convergence des modèles économiques sous l’influence du modèle anglo-saxon. Robert Boyer ou Susan Strange ont, de longue date, analysé cette évolution. Le triomphe de la démocratie libérale sur l’économie planifiée soviétique a en effet contribué à déplacer la compétition au sein de l’économie de marché qui peut être organisée selon quatre modèles différents : le modèle libéral anglo-saxon, le modèle japonais, le modèle rhénan et le modèle latin. L’hégémonie américaine combinée au phénomène d’imitation conduit ainsi à diffuser les principes de fonctionnement de l’économie dominante ce qui apparaît aussi bien dans les processus de déréglementation, dans la tendance à privilégier l’emprunt sur l’impôt ou encore dans la diffusion de la lex marcatoria sous l’influence des grands groupes américains. Dans la mesure où la tradition américaine récuse la stricte démarcation public-privé que nous connaissons sur le Vieux Continent, la convergence des modèles est inévitable, même dans les domaines sensibles de la sécurité et de la défense.

II - La domination hégémonique

Pour qu’une nouvelle norme devienne effective, la littérature semble indiquer qu’après l’énonciation d’origine privée, il est nécessaire qu’un gouvernement suffisamment puissant la reprenne à son compte pour la porter et la diffuser. Les théories de la domination hégémonique et les phénomènes d’imitation qu’elle induit peuvent alors expliquer les modalités

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