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Faut-Il Souhaiter Vivre Dans Des Sociétés Sans Conflit ?

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le. Une société sans conflit ne serait-ce pas une société où chacun est contrôlé ? Où un Etat totalitaire supprimerait toute liberté individuelle, allant même jusqu’à supprimer toute individualité ? On peut aussi imaginer qu’une société sans conflit serait une société sans Etat. Mais là aussi, il semble qu’une telle situation ne soit pas souhaitable…

Le conflit serait-il ainsi nécessaire ? Une société où le conflit et la violence des oppositions soit la seule règle ne serait sans doute pas souhaitable non plus… La question se pose donc de comprendre dans quelle mesure et dans quel cadre le conflit pourrait être souhaitable pour une société.

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Si l’on considère le conflit comme un choc entre les individus ou entre les sociétés, on ne peut d’abord que dire que la violence qu’il entraîne doit être supprimée. On ne peut en effet pas souhaiter vivre dans une société où règne la loi du plus fort, la loi de celui qui, lorsqu’il se trouve confronté à autrui, impose sa volonté au détriment de celui-ci.

Le conflit en lui-même n’est tout d’abord pas souhaitable. La violence qu’il cause le plus souvent est source de souffrance pour chaque individu. La divergence d’intérêts ou d’opinion, lorsqu’elle ne trouve d’issue que dans le conflit, se transforme en une suppression de la liberté des individus impliqués, et limite leur bien-être. Une guerre, conflit porté à son paroxysme, détruit des vies humaines et détruit des richesses, elle limite le bien-être de tous les belligérants. C’est ainsi que les guerres ont toujours décimé des peuples et des sociétés toutes entières, de la Rome antique aux indiens d’Amérique. Depuis les Lumières, de nombreux penseurs ont affirmé la nécessité de faire disparaître les conflits internationaux par une régulation supranationale. Kant et son Projet de Paix perpétuelle déjà en 1795, mais l’idée a été appliquée avec l’Union Européenne dans ce même but, avec les résultats bien connus de la paix européenne. On remarque par ailleurs que le projet de paix initié au lendemain de la seconde guerre mondiale avec la construction européenne était dès le début lié à l’idée d’échanges économiques. Le libéralisme économique est en effet souvent associé à la paix. En effet, de même que la guerre est source de dommages matériels et que l’appauvrissement est source de conflits, la paix permet selon Montesquieu le « doux commerce » (De l’Esprit des Lois, 1748) et donc le bien-être matériel de tous. Dans le projet européen, ce raisonnement semble se vérifier en un cercle vertueux qui empêche les conflits et stimule la création de richesses. Il semblerait donc que chacun ne pourrait que souhaiter vivre dans une société sans conflits.

Mais au-delà de l’intérêt de chaque individu à vivre dans une société en paix, c’est l’idée même de société qui est remise en question par le conflit. En effet, une société humaine est avant tout basée sur la relation, l’échange, l’interdépendance entre les hommes. « S’il n’y avait pas d’échange, il ne saurait y avoir de vie sociale » (Ethique à Nicomaque) affirme Aristote, mais Lévi-Strauss aussi, beaucoup plus tard, montre que ce sont les échanges de paroles, de biens, et de femmes qui sont constitutifs d’une société. Etymologiquement, le mot latin cambiare indique la dimension de réciprocité de l’échange, et la société est en effet basée sur ce type de relations d’interdépendance. Que ce soit en termes affectifs, matériels, politiques, notre vie sociale est constituée de relations réciproques. Il convient ainsi de se demander ce qu’implique un conflit pour les relations. Lévi-Strauss concevait le conflit comme résultant de l’échec de l’échange. Le conflit est une rupture de la réciprocité, puisqu’il constitue justement une opposition dans laquelle chacun veut prendre sans céder. Et si l’on considère que la violence ne peut que détériorer les relations entre les hommes, alors le conflit ne peut que déliter le lien social, et remettre en cause la pérennité d’une société. Les rois et seigneurs concluaient leurs alliances à travers des liens matrimoniaux, des « échanges » de femmes. Les individus en désaccord arrêtent de se parler. La communauté internationale arrête les échanges commerciaux pour sanctionner l’Iran, les mêmes mesures ayant souvent déjà précédé des interventions militaires. La rupture de l’échange est liée au conflit, l’échange est constitutif de la société. Le conflit, en tant que rupture des relations sociales, rupture du lien social, est une menace pour toute société en plus d’être une menace pour ceux qui y vivent.

Thomas Hobbes constate ainsi dans le Léviathan (1651), que les hommes, disposant tous d’aptitudes naturelles égales, d’une force égale, se trouvent dans une situation permanente de guerre entre eux, chacun se battant pour ce que l’autre possède. La société sa trouverait ainsi dans une situation où « il n’existe aucun moyen de se garantir qui soit aussi raisonnable que le fait de prendre les devants, par la violence ou par la ruse, de la personne de tous les hommes pour lesquels cela est possible », un état de guerre permanente. Pour sortir de cet état de guerre, Hobbes affirme que l’individu doit établir un « contrat vertical » avec le « Léviathan » auquel il remet la responsabilité de faire la loi. L’individu renonce ainsi au caractère illimité de sa liberté, et notamment à sa liberté d’entrer en conflit, en remettant sa liberté entre les mains d’une instance (que ce soit un prince, un empereur, ou une république), pour que son voisin soit tout aussi limité que lui. Pour Rousseau, un tel abandon de la liberté naturelle au profit d’une instance arbitraire est inacceptable, et le contrat que chaque individu doit accomplir est horizontal : le « contrat social » est celui de la société qui s’unit « sous la suprême direction de la volonté générale » (Du Contrat Social, 1762). Les hommes n’abandonneraient leur liberté naturelle qu’au profit d’une « liberté civile », soumise à la souveraineté du peuple. Pour Hobbes comme pour Hobbes, on a ainsi créé l’Etat, auquel on a remis le « monopole de la violence légitime » (Weber), afin de garantir la sécurité de tous. La potentialité de la violence de l’Etat doit permettre de supprimer l’agressivité des individus, et ainsi à terme de supprimer le besoin même de violence de l’Etat. Une société sans conflits serait ainsi souhaitable et souhaitée, et c’est à travers la création de l’Etat auquel l’individu est soumis que les sociétés s’en rapprochent.

La violence et la souffrance qu’entrainent les conflits ne peuvent donc en aucun cas être souhaitable, et vivre dans des sociétés sans conflit a été la finalité de théories portées par un très grands nombre de penseurs. Mais comment l’Etat, puisque c’est à lui que ce rôle semble aujourd’hui confié, doit-il s’y prendre pour éliminer définitivement tout conflit de la société ? La force coercitive théoriquement absolue dont il dispose semble être le seul moyen d’empêcher les hommes d’entrer en conflit entre eux. Mais utiliser cette force coercitive, n’est-ce pas risquer d’entrer dans un conflit de l’Etat même contre le peuple ? Une société sans conflit est-elle seulement possible ? Et même si une telle société était imaginable, le conflit est-il forcément péjoratif ?

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A quel prix donc la société pourrait-elle atteindre un état d’absence de conflits ? L’idée est séduisante, elle a été tentée. Dans la réalité par le communisme soviétique, suivant la théorie marxiste, dans la littérature par Thomas More (Utopia) ou George Orwell (1984), dans le cinéma avec Bienvenue à Gattaca (Andrew Niccol) notamment, l’avènement d’une société de paix a beaucoup fait rêver, et a beaucoup fait écrire. De même, les sociétés holistes traditionnelles présentent moins de conflits ouverts puisque l’ordre y est imposé par héritage, par tradition, chaque individu y tient un rôle qu’il n’a pas choisi et que personne n’a choisi à sa place. Chez les indiens d’Amérique du Sud, tels que les étudie Pierre Clastres dans la Société contre l’Etat, les conflits au sein de la société semblent ne pas exister puisque toute individualité est soumise au groupe. Il semblerait donc que supprimer la violence des conflits entre les personnes reviendrait à imposer un ordre social intangible et égalitaire. Cela reviendrait donc à créer une société où chacun aurait un rôle défini auquel il ne pourrait déroger, mais surtout auquel il ne voudrait déroger car il serait égal à n’importe quel autre rôle dans la société. Cela reviendrait à supprimer toute liberté individuelle au profit d’une égalité totale et d’une impossibilité de s’élever au-dessus des autres individus. Chez les Guyakis, tribu d’indiens d’Amérique du Sud étudiée par Pierre Clastres, le conflit est remarquablement absent de la société. Mais la femme a un rôle social intangible et séparé de l’homme, si intangible qu’un homme qui ne peut pas chasser (et donc accomplir l’essentiel du rôle masculin) doit adopter totalement le rôle féminin (porter le panier, mais aussi agir comme une femme socialement, voire sexuellement) plutôt que de tenter de conserver un statut d’homme. Thomas More présente en 1516 une Utopie où il n’y a pas de conflit. Il n’y existe cependant pas non plus d’hétérogénéité sociale, aucune déviation possible, aucune

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