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L'Autoportrait

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'autoportrait en littérature

Michel Beaujour entreprend tout d'abord de définir l'autoportrait littéraire par la négative, – en l'opposant d'une part à l'autobiographie telle que Philippe Lejeune l'a théorisée, et d'autre part à l'autoportrait pictural.

I.1. L'autoportrait et l'autobiographie

I.1.1. L'autoportrait comme formation non chronologique

Selon lui, l'autoportrait en littérature se distingue avant tout de l'autobiographie par le fait qu'il ne présente pas de récit suivi. Autrement dit, il ne figure pas une succession d'événements significatifs, il ne reconstruit pas linéairement une existence: il est fondamentalement non narratif. À l'ordre chronologique (ou même dialectique) des faits remémorés et racontés dans l'autobiographie, il substitue un ordre associatif et, pourrait-on dire, thématique. Si l'on jette un coup d'oeil sur la table des matières de L'âge d'homme, par exemple, on constate en effet qu'elle offre un répertoire de thèmes: Vieillesse et mort, Surnature, L'infini, L'âme, etc., – autant de rubriques sous lesquelles les souvenirs, les rêves, les fantasmes ainsi que les réflexions de Leiris s'agrègent et se déploient.

I.1.2. L'autoportrait comme saisie non rétrospective

Beaujour insiste sur la différence qui existe entre le projet de l'autobiographe et celui de l'autoportraitiste, en affirmant que le premier (l'autobiographe) se pose la question de savoir comment il est devenu ce qu'il est devenu, tandis que le second (l'autoportraitiste) se demande qui il est au moment même où il écrit. Afin de rendre sensible l'écart entre ces deux démarches, il examine Les Confessions de Saint Augustin et prête une attention toute particulière au Xème livre de cet ouvrage, où l'auteur annonce précisément – en s'adressant ouvertement à Dieu:

Je me ferai [...] connaître de ceux que vous m'ordonnez de servir, non pas tel que j'ai été, mais tel que je suis désormais, tel que je suis maintenant [...]. (X, 4. Je souligne.)

Saint Augustin interrompt alors le récit qui a occupé les neuf premiers livres de son œuvre, il cesse de relater son errance et sa conversion, renonce à revenir sur les péchés qu'il a commis et les repentirs qui les ont suivis, à exposer les égarements et les mutations qui ont jalonné son histoire, et il se tourne vers le présent, en vue de dévoiler ce qu'il est encore, à l'instant que voici, au moment précis de [ses] confessions (X, 3).

I.1.3. L'autoportrait en creux de Saint Augustin

À une autobiographie spirituelle, religieuse, succède ainsi un autoportrait, – mais un autoportrait paradoxal, un autoportrait en creux, où le moi est absent. Augustin en effet ne dit rien de lui-même, malgré son intention affichée de révéler qui il est dans le présent de son écriture, et il se laisse aller à méditer sur la mémoire et l'oubli, à décrire un espace intérieur, à le parcourir; la mémoire est près de se confondre sous sa plume avec l'intériorité au sens large, elle est assimilée à un vaste palais où sont déposées les images nées de la perception et de l'expérience (les sensations, les sentiments) et les connaissances intellectuelles (les notions); en cheminant dans cet édifice, en explorant ses recoins, Augustin se révèle être en définitive à la poursuite non de lui-même mais de Dieu qu'il cherche au dehors, puis au dedans de lui. En somme, si l'on en croit Beaujour, le Xème livre des Confessions est un modèle, une épure, une structure vide dont les autoportraits modernes sont des variantes, compte tenu de la rupture idéologique que représente la Renaissance en ce qui concerne la conception de l'individu: l'homme dans les Rêveries ou la Règle du jeu aurait simplement pris la place réservée à Dieu dans l'ouvrage de Saint Augustin.

L'autoportrait apparaît donc clairement, suite à ces quelques remarques, comme une forme littéraire beaucoup plus hétérogène et beaucoup plus complexe que la narration autobiographique.

I.2. L'autoportrait littéraire et l'autoportrait pictural

L'autoportrait littéraire diverge aussi de manière assez radicale de l'autoportrait pictural. Le mot autoportrait évoque spontanément des peintres plutôt que des écrivains, il évoque Rembrandt plutôt que Montaigne, Bacon plutôt que Leiris; dans le contexte littéraire, il est invariablement métaphorique, et c'est la raison pour laquelle il est insatisfaisant. La comparaison entre les arts risque toujours de se faire au détriment de leur spécificité. Or un texte ne figure pas un individu comme le fait une toile peinte.

I.2.1. Le recours à la métaphore picturale

Pourtant, les écrivains eux-mêmes sollicitent volontiers l'image de la peinture lorsqu'ils abordent leur projet d'écriture. Il suffit de penser à Montaigne par exemple qui déclare explicitement dans son Avis au lecteur:

Je veux qu'on m'y voie [dans les Essais] en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans contention et artifice: car c'est moi que je peins. Mes défauts s'y liront au vif, et ma forme naïve, autant que la révérence publique me l'a permis. Que si j'eusse été entre ces nations qu'on dit vivre encore sous la douce liberté des premières lois de nature, je t'assure que je m'y fusse très volontiers peint tout entier, et tout nu. (I. Je souligne.)

On peut se souvenir également des premières pages de L'âge d'homme qui témoignent elles aussi d'une intention de se peindre. Leiris commence effectivement par faire son portrait physique: il décrit d'abord son visage (J'ai des cheveux châtains coupés court afin d'éviter qu'ils ondulent, [...] une nuque très droite [...]. Mes yeux sont bruns, avec le bord des paupières habituellement enflammé; mon teint est coloré [...]); puis, il passe à la description de sa silhouette (Ma tête est plutôt grosse pour mon corps; j'ai les jambes un peu courtes par rapport à mon torse, les épaules trop étroites relativement aux hanches., etc.). Il multiplie par ailleurs les allusions au miroir et à la peinture; il écrit notamment:

[...] j'ai horreur de me voir à l'improviste dans une glace car, faute de m'y être préparé, je me trouve à chaque fois d'une laideur humiliante. (p.26. Je souligne.)

Un peu plus loin, il note encore:

Si rompu que je sois à m'observer moi-même, si maniaque que soit mon goût pour ce genre amer de contemplation, il y a sans nul doute des choses qui m'échappent, et vraisemblablement parmi les plus apparentes, puisque la perspective est tout et qu'un tableau de moi, peint selon ma propre perspective, a de grandes chances de laisser dans l'ombre certains détails qui, pour les autres, doivent être les plus flagrants. (p.26. Je souligne.)

I.2.2. Les limites de la métaphore picturale

Les limites heuristiques de la métaphore picturale (se peindre soi-même) sont cependant vite atteintes. L'autoportraitiste ne se décrit pas comme le peintre représente le visage et le corps qu'il perçoit dans son miroir – pour les raisons suivantes: d'une part, et cela va de soi, la linéarité de l'écriture alphabétique ne permet pas d'embrasser une figure d'un seul regard; d'autre part, l'appréhension physique ne nécessite pas les mêmes médiations que l'appréhension morale, le corps est d'un abord plus immédiat que l'âme, il est offert à la vue, il se laisse cerner dans les limites d'un cadre, à la différence de l'âme qui n'a pas d'existence objective et qui se dérobe inévitablement à toute circonscription. En d'autres termes, à la question Qui suis-je?, l'autoportraitiste ne peut pas se contenter de répondre en se décrivant physiquement, ni même en énumérant simplement ses qualités et ses défauts. Au moment de prendre la plume, il commence très probablement par faire l'expérience du vide, de l'absence à soi.

I.2.3. L'autoportrait comme saisie indirecte du moi

En choisissant de se figurer lui-même, il est forcé à un détour qui peut sembler contradictoire avec son projet initial; il est contraint en effet de recourir aux catégories toutes faites fournies par la tradition culturelle dans laquelle il s'inscrit, et de travailler ces données qui lui sont étrangères: les péchés et les mérites, par exemple, les vertus et les vices (qui sont des catégories héritées de la tradition chrétienne), les humeurs et les tempéraments (qui relèvent d'une certaine science médicale), les facultés (qui participent d'un savoir philosophique), la psychologie avec ses passions, certains éléments de psychanalyse également au XXème siècle comme le complexe d'Oedipe ou le fantasme; l'astrologie, la mythologie, etc.. Il est aux prises en somme avec la configuration des savoirs que lui tend sa culture, et qui varie bien évidemment en fonction des idéologies et des sciences. Il ne se saisit pas lui-même directement. L'autoportrait

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