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Le Probleme Du Comique Dans La Secretaire Particuliere De Jean Pliyaya

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que Charles Mauron appeUe «le haut comique» qui «tend au serieux, puis au grave,» et s'oppose au «bas comique» qui provoque un «rire franc. »11 Dans le rire de lajoie, d'apres les theoliciens, on rit parce qu'on est heureux, et le rire ne revet ici aucune intention foncierement critique.

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Dans le rire de la satire, au contraire, le rire est une anne de la critique, une maniere d'attaquer celui dont le comportement est desapprobable. Pour nous, ce fire, cl proprement parler, ne saura donc avoir pour but le plaisir en soi, car il nait d'une situation intenable difficilement compatible avec le plaisir. En effet. Voltaire obselVe que dans le fond ce «ris malin» n'est pas un vrai fire. «C'est huer plut6t que rire.»12 Et il faut le souligner, le fire de la satire n'a rien cl voir avec l'epanouissement joyeux du sUjet «riant.» C'est plut6t une reaction aigre de desapprobation, une attitude critique par laquelle le sUjet «riant» decrie celui qui provoque sa reaction. En plus de ces deux formes particulieres du fire - rire de la joie et rire de la satire - nous constatons une troisieme forme, le rire marginal qui pourrait se preter cl la theorie bergsonienne. Pour Henri Bergson, le fire nait de la raideur, c'est-cl-dire de l'«image du mecanique plaque sur du vivant.»13 lei, celui qui fait fire le fait dans la mesure Oll il agit comme s'il n'avait plus aucune souplesse humaine, et comme s'il etait transfigure en chose. Ce rire comporte-t-il une intention critique, ou est-il un fire de lajoie? En fait. nous y reconnaissons dans une certaine mesure un element du plaisir passager et une intention critique. Le plaisir provient de la bizarrerie du comportement de l'homme-mecanique et s'explique cl travers la subite prise de conscience par le rieur de sa superiorite cl cet homme-mecanique, car il se trouve precisement dans une situation de bien saisir, et meme d'analyser l'incongruite inherente cl l'acte de l'homme-mecanique. En meme temps, il sait, ou il veut faire croire par le fire du plaisir qUi nait ici de la conscience de sa superiorite, qu'il est incapable d'agir comme le fait l'hommemecanique. C'est ainsi que l'element du plaisir que produit le rire qui nait de l'image de la raideur se double d'une intention critique. Celle-ci souligne l'inferiorite de celui qui la provoque et le somme en meme temps d'agir comme il faut. Cependant. l'intention critique du rieur n'est pas aussi profonde que celle qUi nait d'une situation Oll l'acte de l'objet du rire constituerait une menace serieuse au bien-etre ou cl l'existence du rieur. En fait, l'acte de celui qui se transforme en une sorte de mecanique ne menace pas dans le fond le rieur, et il pourrait, dans certains cas, ne nuire qu'au personnage lui-meme. Tel est par exemple le cas des monomanes qUi sont trop obsedes par leurs propres pensees pour pouvoir donner leur attention cl quelque chose d'autre. Tel est aussi le cas d'un homme qui, tellement absorbe par une pensee qui agite son esprit, ira, les yeux grands ouverts, et en plein midi, se heurter cl un camion en stationnement.

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Le fire marginal qUi provient de la raideur pourrait se mantfester aussi lorsqu'on entreprend un acte avec une rigidite portee a l'exces. Nous pensons surtout ici a La Farce du ctwier de l'epoque medievale fran~aise ou, pour punir sa femme trop exigeante, Jaquinot decide de suivre avec rigidite la liste des besognes joumalieres que sa femme lui a etablie. Or lorsque la femme tombe dans une cuve et appelle son mart au secours, Jaquinot ne fait que consulter sa liste des besognes pour ensuite declarer qu'U n'y est pas question de sortir sa femme d'une cuve. Dans ces trois exemples que nous venons de donner du fire qui naitrait de la raideur - cas des monomanes, celui de l'homme qUi se cogne a un camion, La Farce du cuvier - les personnages n'ont plus leur souplesse humaine, et Us se transforment e~ une sorte de mecanique. Cette transformation produit une situation incongrue qui, elle-meme, est accueillie par un temoin desinteresse, un observateur involontatre, par un rire qui s'impose comme un acte brusque et irreflecht. C'est un fire, ou plus precisement une reaction par laquelle on veut indiquer a celui qui provoque cette reaction de fatre attention a son comportement, c'est-a-dire de reprendre sa souplesse humaine. Mais U ne s'agit pas dans ce rire, a proprement parler, d'une reaction de lajoie ou du plaisir. C'est pourquoi on pourrait effecttvement dire que le fire qui nait de l'«image du mecanique plaque sur du vivant» est un rire marginal. C'est un rire qui se situe entre lajoie francbe et le deplaisir pur. Ce n'est pas particulierement un rire de la joie. 11 ne fait pas partie non plus. d'une maniere profonde. du fire de la satire.

Notre etude du comique dans La Secretaire particuliEre s'etablira, dans la mesure du possible, sur les trois formes du fire que nous venons d'evoquer: le fire de la joie, le fire de la satire, le rire marginal. La piece de Jean Pliya suscite-t-elle le fire de la joie, un rire ou n'existe pas l'intention critique? Nous ne le pensons pas, et U nous parait meme evident que Jean Pliya con~oit sa piece comme un moyen de critiquer, en les exposant, la corruption et l'abus de pouvoir qui regnent supremes en Afrique contemporaine, et qUi mettent en question l'extstence meme du continent. Au debut de sa piece, Jean Pltya souligne ce fait et evoque la nature serieuse du sUjet aborde dans sa piece, lorsqu'U ecrU:

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Je dedie cette piece de theatre ala memoire I...) de tous les Mricains victimes de leur legitime deslr de travailler et de s'epanoulr dans une societe juste, pacif1que oil l'homme vive l1bre et ne soit pas un loup pour l'homme (p. 4).

D'une maniere detoumee, Jean Pliya indique par lei que la societe aflicaine dont il est question dans sa piece n'est pas juste ou pacifique car l'homme y etablit son bonheur sur le malheur d'autru1. C'est ainsi que les gens comme Chadas chez qui la corruption soclale est la seule regle de conduite considerent toute la societe comme le bien plive a exploiter a leur gre. C'est la le sUjet plincipal de La Secretaire particuliere: l'exploitation de l'homme par l'homme. Un tel sUjet, quelle que soit la maniere dont il est presente, n'est guere propre a susciter un lire franc, du moins chez les spectateurs aflicains, c'est-a-dire le peuple en general, qui, en Mlique contemporaine, parait comme la victime etemelle de ceux qui detiennent le pouvoir. C'est pourquoi pour nous la piece de Jean Pliya n'a, dans le fond, lien a voir avec le lire de la joie. Pour les spectateurs aflicains a qui s'adresse largement la 14 piece, le sUjet est trop selieux pour provoquer le rire franc. Les spectateurs reconnaissent dans la piece non pas un fait fictif mais une situation reeIle qu'ils vivent avec le plus grand mecontentement car eIle rend leur existence presque impossible. Or, si La Secretaire particuliere ne suscite guere le lire de laj oie, provoque-t-eIle, d'autre part, le lire marginal, un lire qui n'est foncierement ni celui de la joie, ni particul1erement celui de la satire? En fait on trouve dans la piece des traits du lire marginal mais ces traits sont tres peu nombreux et ne sauront constituer un aspect important de la piece. En plus, ils paraissent introduits dans la piece par le dramaturge comme une maniere de decharger l'atmosphere lourde d'host1lites et de malaise general dans laquelle s'insclit la piece. Les traits du lire marginal proviennent ici, en particul1er, de l'image de la raideur. Nous en retenons trois occasions. La premiere occasion est foumie par Chadas, le personnage plincipal de la piece. L'imitation ligide jusqu'a la servitude, par le personnage, du mode d'habillement europeen fait de lui une sorte de mecanique depourvu de souplesse humaine. C'est precisement le lire marginal qUi se produit chez le spectateur lorsqu'11 voit Chadas habille de complet europeen. Bien qu'11 etouffe de chaleur 11 refuse d'enlever sa veste:

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Dufl J'ai chaud. Si Je pouvais seulement enlever ma veste. Helasl ce serait incorrect. Un patron doit donner le ban exemple Jusqu'a l'heroisme indus. Certains me diront esdave des manieres de Blancs. Bahl J'en ai entendu d'autres (11. 3, p.351.

En effet, pour pouvoir se decrire comme etant correctement habille, Chadas n'enlevera ni sa veste ni son noeud papillon malgre la chaleur qui l'accable. Le personnage finit ainsi par se reveler au spectateur comme l'«image du mecanique plaque sur du vivant.» La meme raideur apparait aussi chez le militaire, un ancien combattant, et donne lieu au rire marginal. Bien que l'ancien combattant ne soit plus ni dans l'armee ni veritablement soldat, il ne parvient plus cl ecarter les habitudes militaires ni de son habillement ni de son langage. Son «llumero matricule 27.84.75» revient sans cesse dans tout ce qu'il dit, comme une formule cabalistique completement inutile et pleinement deplacee. Quoique maintenant civil, l'ancien combattant est regi par son ancien comportement militaire, et pour lui 11 est impossible d'agir autrement. C'est

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