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Jean Tardieu, Poète Engagé

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des "papiers" sur les écrivains liés à la région où j'exerçais. Tardieu, natif de Saint-Germain de Joux dans l'Ain, s'inscrivait naturellement dans ma galerie de portraits.

C'est pour rédiger ces articles que vous lui avez rendu visite ?

Pas du tout. C'est lui qui est venu. Je terminais mes vacances d'été en juillet 1988 lorsque j'ai reçu un coup de téléphone d'Alain Claude m'informant de la venue de Jean Tardieu dans sa maison natale à Saint-Germain de Joux, tout près de chez moi.

J'ai chargé mon appareil photo et sauté dans ma voiture. Je voulais recueillir un entretien mais j'ai préféré laisser Tardieu tranquille dans son inventaire des souvenirs. Je crois qu'il a apprécié cette discrétion qui n'était en fait qu'une certaine forme de timidité ! De plus, il y avait aussi parmi nous Marcel Bisiaux qui tenait durant ces années une chronique, "Gastrosophie", dans la Quinzaine Littéraire. J'étais quelque peu impressionné ! Nous avons fait connaissance et Tardieu, de très bonne humeur, m'a laissé faire toutes les photos que je voulais. Il s'agit d'ailleurs de celles qui figurent dans le livre, à une ou deux près.

Et puis, trois ans plus tard, une nouvelle rencontre ?

Oui, en juin 1991, toujours dans l'Ain, mais cette fois à Meillonnas chez Michel Cornaton qui habitait la maison où vécut Roger Vailland. Vous voyez, encore une histoire de maison ! Cette demeure était en outre, à cette époque, le siège de la revue Le Croquant. Cette fois, avec l'aide du poète Paul Gravillon, j'ai enregistré un entretien que j'ai publié d'abord dans la revue puis dans le livre.

Votre ouvrage se compose donc de ces différentes contributions journalistiques ?

En partie, mais revues et corrigées. J'ai aussi ajouté plusieurs petits essais sans oublier, bien-sûr, des textes inédits de Tardieu. C'est après sa mort, en janvier 1995, que l'idée du livre s'est vraiment imposée. L'ouvrage est aussi né d'une colère...

Une colère ?

J'étais écoeuré par les notices nécrologiques bâclées qui émaillaient la presse locale. Quant à la télévision, je préfère ne pas en parler. Les journaux (nationaux) et la radio ont mieux fait leur travail. J'ai quant à moi envoyé un texte d'hommage à Maurice Nadeau et Anne Sarraute pour la Quinzaine Littéraire. C'est après cette publication que l'idée du livre a vraiment pris corps.

D'emblée aux éditions de la Bartavelle ?

Oui. J'en avais parlé à l'éditeur Eric Ballandras. Au départ, je voulais me contenter d'un texte et de quelques photos, mais Eric Ballandras ne voulait pas faire une plaquette. Il voulait un livre pour sa collection Essais. J'ai rédigé un livre mais ce n'est pas vraiment un essai et encore moins un livre savant. Disons qu'il s'agit d'un livre d'amitié, un portrait littéraire situant l'homme dans sa région natale, le pays du "fleuve caché" pour reprendre le titre du recueil le plus connu de Jean Tardieu ; cette campagne entre l'Ain et le Jura qui constitue le "lieu dit", de la métaphore fondatrice de son oeuvre poétique.

Qu'est-ce qui vous séduit le plus dans cette oeuvre ?

Mon livre s'attache plus au poète qu'au dramaturge. C'est donc sur ce plan que je vous répondrai.

La nature de son oeuvre, comme celle de l'homme, est complexe. Il a joué des contraires. Dans le privé, Tardieu était un homme paisible, installé, qui vivait pourtant une aventure poétique dont les étapes les plus audacieuses l'ont mené jusqu'à des confins que n'aurait pas négligé Henri Michaux.

En plus de la musique mystérieuse de sa poésie, je suis fasciné par cette permanente oscillation entre l'aspiration au confort d'une vie bourgeoise et le désir lancinant d'explorer les limites de notre perception du monde. En cela, Tardieu est, je crois, très proche de nombreux poètes d'aujourd'hui qui ne se reconnaissent plus dans le mythe du visionnaire maudit mais qui ne renoncent pas pour autant à se risquer dans les grandes largeurs, c'est-à-dire dans les grandes questions qui se posent à l'homme depuis les premiers âges. En homme de son temps, Tardieu assume en plus l'héritage d'un siècle, le sien, dont l'incroyable accélération technique multiplie encore la portée de ces questions.

Mais ce n'est encore qu'une facette du personnage.

ENTRETIEN AVEC JEAN TARDIEU à Meillonas (01) en 1991

(extrait du livre paru aux éditions de la Bartavelle).

C.C.E : La lisibilité de la poésie est-elle un problème contemporain ?

J.T : De tout temps, la poésie, quand elle correspond vraiment à l'élan authentique d'un poète, paraît illisible. Ce n'est pas un problème nouveau : il suffit de remonter à Mallarmé et même à Baudelaire, ce sont des exemples frappants. Certes, pour Baudelaire, .,le rejet à eu des raisons morales ou sociales mais déjà, dans la poésie de Baudelaire, il y avait quelque chose qui paraissait, sinon illisible, du moins choquant pour le public. Avec Mallarmé, cette difficulté s'accentue au point qu'il paraît totalement incompréhensible à la majorité des lecteurs. On ne peut donc rien dire encore de tel pour les contemporains car ce qui nous semble difficile aujourd'hui sera peut-être beaucoup mieux admis plus tard. Je ne crois pas à une distinction formelle entre ce qui serait lisible et ce qui serait illisible il faut déplacer un peu la question. Il faut tenir compte du fait que les conditions de lecture ou d'écoute de la poésie sont différentes : les médias, par exemple, forcent les artistes à faire un effort vers un public plus large. Je m'en suis aperçu récemment lors d'une mise en théâtre de certains de mes textes à Cambridge et à Londres ; automatiquement, on a choisi ceux qui avaient une forme dialoguée et qui pouvaient être compris plus facilement , les autres auraient difficilement franchi "le mur du son"

C.C.E : Quels textes avez-vous sélectionnés?

J.T : On a choisi dans Monsieur Monsieur, la saga d'un personnage imaginaire, où le spectaculaire était déjà dans texte. Je suis attristé, à ce propos, que certains me considèrent comme un poète de second rang sous prétexte que mes poèmes sont lisibles ! S'ils regardaient de plus près, ils verraient que, dans beaucoup de mes recueils, il y a un mélange.

C.C.E : Est-ce délibéré ?

J.T : Pas vraiment. C'est plutôt que je considère que la poésie doit avoir plusieurs moyens d'accès, aussi bien visuels que sonores, aussi bien dans une lecture solitaire que dans une lecture grand-public. Il s'agit, en fait, d'une extension des possibilités d'accès qui m'a permis d'aller plus loin, jusqu'aux poèmes dialogués et même jusqu'aux poèmes à jouer : pour moi, ce sont toujours des poèmes.

C.C.E : Si l'on précise la question de la lisibilité, on peut dire que la poésie a commencé à souffrir quand on s'est attaqué au sens : une coupure s'est alors faite avec le public.

J.T : Il faut un temps de mûrissement entre l'artiste et le public : si le poète cherchait directement à faire facile, ce serait désastreux car le poème perdrait toute vérité, il deviendrait artificiel. Le mot "vulgarisation" vient tout de suite à l'esprit, dans tous les sens !

C.C.E : On assiste depuis longtemps à un autre divorce, entre la science et la religion. Ne pensez-vous pas que la poésie pourrait les réconcilier, du moins permettre une connaissance moins étriquée ?

J.T : C'est une question qui est en lien avec les précédentes car le langage scientifique est précisément un langage qui ne peut pas être compris du grand public. Cela n'aurait aucun sens de vouloir exprimer une recherche mathématique ou en physique nucléaire dans un vocabulaire accessible à tous . La religion, c'est différent. J'ai été élevé sans religion : mon père était libre

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