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L Assommoir Prototype Du Roman Noir Urbain

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choses se transforment, épient, menacent. Il en est ainsi du San Francisco des Rapaces, du Chicago de La Jungle (1906), une œuvre dont on peut regretter la naïveté finale, du Dublin de O’Flaherty (Le Puritain, 1931), du Memphis de Sanctuaire (1931, du Berlin d’Alfred Döblin, du Shangaï de La Condition humaine (1933) où des insurgés pour la justice meurent sous la torture, du Londres des Forbans de la nuit (1950), du New York de Richard Wright (Un enfant du pays, 1940) et d’Hubert Selby Jr. dont le roman le plus connu, Dernière sortie pour Brooklyn (1988), atteint la noirceur absolue du Voyage au bout de la nuit. Pour cela et parce que l’artiste choisit les éléments de son œuvre en fonction de son « tempérament » (Zola), parce que l’œuvre achevée transfigure, ce réalisme brut en apparence tend vers l’expressionnisme, le « fantastique social ». * * *

1. Dans Le Père Goriot, la « cellule-mère de La Comédie humaine » (Thibaudet), le destin de Goriot permet à Rastignac de comprendre, mieux que les discours de Mme de Bauséant et de Vautrin, l’atrocité du monde mais l’incite à le défier.

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Adepte et défenseur des arts nouveaux qui s’efforcent de montrer la réalité telle qu’on la voit, Zola décide de faire entrer les ouvriers dans la littérature autrement que silhouettés. Aussi peindra-t-il les petits artisans et les ouvriers de la Goutte-d’Or ; aussi décrira-t-il les mineurs en lutte contre les possesseurs du capital dans Germinal (1885) et le monde des cheminots dans La Bête humaine (1890). Publié d’abord en feuilleton dans plusieurs journaux, L’Assommoir parut en volume chez Gaston Charpentier à la fin du mois de janvier 1877. Tous les lecteurs attentifs de ce roman en connaissent les sources. Comme à son habitude, pour préparer son ébauche, ses plans, ses fiches, Zola a constitué un dossier : visite et enquête serrée dans le quartier, étude du Sublime (1870) de Denis Poulot, un ancien compagnon qui décrit le monde ouvrier « comme il est en 1870 » et s’intéresse à la question sociale, et lecture du Dictionnaire de la langue verte d’Alfred Delvau (1866). Par ailleurs, il réunit une documentation importante : des notes sur les techniques des métiers qu’il décrira et des notes prises dans des ouvrages médicaux traitant des méfaits de l’alcoolisme. Enfin, il réduit son plan de vingt et un à treize chapitres (11 à 14 chapitres, c’est une longueur qu’il affectionne et utilise dans dix volumes des Rougon-Macquart) et il modifie son intrigue. Il décide que Gervaise Macquart sera l’héroïne. Il écrit dans son ébauche : « Je prends Gervaise, à Paris, à 22 ans (en 1850), et je la conduis jusqu’en 1869 à 41 ans. Je la fais passer par toutes les crises et toutes les hontes imaginables [...]. Je la montre mourant à 41 ans épuisée de travail et de misère. » Tout y est donc, le fatum personnel et social, le cadre funeste, corrupteur, des villes et le délabrement de l’époque.

I. Un roman de la fatalité personnelle A. Les origines de Gervaise Dans l’arbre généalogique des Rougon-Macquart, Gervaise appartient à la branche bâtarde, issue des amours d’Adélaïde Fouque, veuve Rougon, et du contrebandier Macquart tué par les gendarmes. Un branche qui comprend les descendants d’Antoine Macquart ainsi que ceux de sa sœur, Ursule, femme du chapelier Mouret. Gervaise est la fille d’Antoine Macquart (« fainéant, lâche, ivrogne ») et de Joséphine Gevaudan (bonne, vigoureuse, très travailleuse mais intempérante). Elle est la sœur de Lisa, épouse Quenu (Le Ventre de Paris), et de Jean, personnage principal de La Terre et de La Débâcle. Doublement marquée par l’hérédité (la névrose d’Adélaïde et l’imprégnation alcoolique de son grand-père, de son père et de sa mère), elle apparaît dans le premier volume de la fresque : La Fortune des Rougon (1869). Née en 1828 à Plassans (le berceau de la famille, ville imaginée sur le modèle d’Aix-en-Provence), elle est boiteuse : « conçue dans l’ivresse, sans doute, pendant une de ces nuits honteuses où les époux s’assommaient2, elle avait la cuisse droite déviée et amaigrie, étrange reproduction héréditaire des brutalités que sa mère avait dû endurer dans une heure de lutte et soûlerie furieuse ». De plus, sa mère, la trouvant chétive, la met un temps « au régime de l’anisette » (La Fortune des Rougon, p. 157). Élevée dans la rue, battue par son père, elle entre en apprentissage, à dix ans, chez une blanchisseuse. Enceinte à quatorze ans, elle met au monde un premier garçon : Claude et, quatre plus tard, un

2. C’est nous qui soulignons.

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second : Étienne3. Lantier, le père, exerce la profession d’ouvrier tanneur mais, en 1849, lorsque sa mère meurt lui laissant dix-sept cents francs d’héritage, il décide de partir, pour Paris, avec Gervaise et les enfants, et de s’y établir chapelier tandis qu’elle continuera dans la blanchisserie. Hélas, Lantier est un viveur, un paresseux. À peine installé à l’Hôtel Montmartre, il dilapide son héritage et, au début du roman, on retrouve Gervaise à l’Hôtel Boncœur (le mal nommé), un garni misérable au coin de la rue des Poissonniers. À la fenêtre, tandis que Claude et Étienne dorment, elle attend Lantier qui a découché. Lorsqu’il rentre, furieux, il lui cherche querelle puis, après qu’elle s’en est allée au lavoir, il s’enfuit avec Adèle, une brunisseuse, emportant tout ce qui a un peu de valeur. Nous sommes en 1850 et Zola va orchestrer l’itinéraire de Gervaise en treize étapes faciles à résumer : Chap. I : Abandonnée, Gervaise, au lavoir de la rue Neuve-de-la-Goutte-d’Or, donne une fessée magistrale à Virginie, la sœur d’Adèle. Puis, aidée par Coupeau, un zingueur, sobre, actif, elle reprend goût à la vie et elle trouve une place chez Mme Fauconnier, une blanchisseuse. Chap. II : Malgré l’opposition des Lorilleux, des chaînistes (la sœur et le beau-frère de Coupeau),il la demande en mariage. Chap. III : Noces de Gervaise et de Coupeau (été 1850). Chap. IV : Gervaise et Coupeau ont droit à « quatre années de bonheur et de travail ». Ils s’installent dans un petit logement rue Neuve-de-la-Goutte-d’Or. Le couple se lie d’amitié avec les Goujet, mère et fils. Claude, très doué pour le dessin, est pris en charge par un amateur de peinture qui le place au collège à Plassans. Le 30 avril 1851, Gervaise accouche d’une fille : Anna (Nana). Malheureusement, au mois de mai 1854, Coupeau tombe d’un toit. Gervaise, qui rêvait de louer une boutique rue de la Goutte-d’Or, dépense ses économies afin de le soigner à domicile. Ému, Goujet lui prête cinq cents francs pour louer la future blanchisserie. Chap. V : Coupeau, guéri, commence à paresser, à faire la noce tandis que Gervaise prend une apprentie et deux ouvrières, Clémence et Mme Putois, pour l’aider. Chap. VI : Une idylle platonique se noue entre Gervaise et Goujet à la forge de la rue Marcadet où travaille celui-ci et où Étienne, que Coupeau s’est mis à détester, sert de grouillot. Virginie revient dans le quartier : elle a épousé Poisson, un sergent de ville. Chap. VII : 19 juin 1858, c’est la fête de Gervaise qui offre un « gueuleton » mémorable à ses proches. Lantier revient lui aussi à la Goutte d’Or. Chap. VIII : Lantier s’installe chez les Coupeau. Un soir où Coupeau, abominablement ivre, a souillé leur chambre, Gervaise se réfugie dans le lit de Lantier. Étienne quitte Paris pour Lille où il entre en apprentissage chez un mécanicien. Goujet propose à Gervaise de fuir avec lui mais elle refuse. Il est trop tard dans sa vie.

3. Pour écrire Lα Bête humaine, Zola, qui a besoin d’un acteur neuf, donne à Gervaise un troisième enfant, Jacques. Il aura du mal à faire coïncider cette filiation artificielle avec la vie de Gervaise. Dans son plan initial, c’était Étienne qui devait entrer dans les chemins de fer.

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Chap. IX : 1860-1863 : Gervaise se laisse aller de plus en plus. Maman Coupeau, qu’elle avait recueillie, meurt. Ballottée entre Coupeau et Lantier, endettée, elle accepte de céder sa boutique à Virginie. Chap. X : Les Coupeau s’installent au sixième étage de la maison dans un logement misérable. Gervaise s’avachit. Reprise par son ancienne patronne, elle gâche son ouvrage. Elle se met à boire. Coupeau fait son premier séjour à Sainte-Anne. Chap. XI : Nana devient « garce ». Elle poursuit son apprentissage du vice dans un atelier de fleuriste où elle est employée. Écœurée par les deux pochards qu’elle trouve en rentrant au logis, elle fugue, revient puis part définitivement. Chap. XII : Janvier 1869. La misère est à son comble. Gervaise descend sur le boulevard pour s’y vendre. Goujet la ramasse, vieillie, énorme, et lui donne à manger. Chap. XIII : Coupeau meurt d’un accès de delirium tremens. Gervaise tombe de plus en plus bas. Elle mendie, se clochardise et finit par mourir de « misère, des ordures et des fatigues de sa vie gâtée » dans la « niche » du père Bru sous la cage d’escalier. B. « L’avachissement » de Gervaise Ce résumé montre que Zola a réussi son projet : il a centré l’action autour de Gervaise. Marquée dès sa naissance, elle a beaucoup de qualités : douce, travailleuse, jolie fille en dépit de sa jambe, elle mériterait une vie heureuse dans ce quartier que sa blondeur éclaire. Mais elle manque de

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