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Dissertation Paul Eluard

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but ultime de la poésie n’est-il pas d’ouvrir au monde des signes et du déchiffrement ? N’est-ce pas dans sa singularité même que le langage poétique est le plus universel ?[synthèse]

[Première partie. Thèse. Les poètes parlent pour tous : confrontation entre la poésie et les réalités concrètes]

[1-1 : la poésie n’est pas un but en soi mais un moyen]

Dans la perspective éluardienne de l’engagement, il y a en premier lieu la quête de l’existant : de fait, le poète appartient à l’histoire, à la société, aux idéologies. Son chant est par définition universel : il “parle pour tous”. Comme l’écrivait Juan Carlos Baeza Soto à propos du poète espagnol Emilio Prados, “l’essentiel de la poésie engagée réside alors dans l’action avec la réalité et dans la relégation au second plan de la voix individuelle, sinon, le poète se séparerait de la réalité.” Ce contact avec la réalité physique et matérielle rend le poète infiniment présent au monde qui l’entoure. On pourrait citer ici ces vers célèbres d’Hugo dans “Fonction du poète” qui condamnent explicitement le retranchement dans l’individualisme :

Malheur à qui dit à ses frères :

Je retourne dans le désert !

Malheur à qui prend ses sandales

Quand les haines et les scandales

Tourmentent le peuple agité !

Honte au penseur qui se mutile

Et s’en va, chanteur inutile,

Par la porte de la cité !

Ce réquisitoire sans appel contre l’art pour l’art est à la base même de toute poésie engagée. En libérant les hommes de la fiction, les poètes engagés les forcent ainsi à s’interroger sur la légitimité de la parole poétique. S’il fut reproché aux Romantiques, à juste titre souvent, de se couper du réel en privilégiant le moi, c’est que pour eux, la poésie n’était pas un vecteur à l’action collective. Par opposition, le propre du poète engagé est de transformer sa révolte individuelle en révolte collective et en lutte politique. Comment ne pas citer ici “Les dernières paroles du poète” de René Daumal :

Aux armes ! À vos fourches, à vos couteaux,

à vos cailloux, à vos marteaux

vous êtes mille, vous êtes forts,

délivrez-vous, délivrez-moi !

je veux vivre, vivez avec moi !

tuez à coups de faux, tuez à coups de pierre !

Faites que je vive et moi, je vous ferai retrouver la parole !

Comme nous le voyons, l’engagement n’est pas inconciliable avec l’émotion la plus profonde. Mais c’est une émotion plus proche du cri que du chant lyrique qui transparaît ici : nul gémissement déploratif, nul épanchement pathétique, mais la force de l’Appel, dépouillé de toute emphase. Si René Daumal a parfois pris ses distances avec la poésie, c’est qu’elle lui semblait trop souvent subordonner la quête collective à l’illusion et au leurre de l’introspection. Faire du lyrisme, n’est-ce pas en quelque sorte “s’écouter parler” ? Dès lors, comment pourrait-il constituer le mode privilégié d’action pour revendiquer la liberté ou plaider pour une cause collective ?

[1-2 : la nécessité d’un langage accessible à tous]

A l’opposé du lyrisme qui se réfugierait souvent dans l’artifice, la poésie doit donc exprimer les sentiments humains par un langage compris de tous. Car c’est bien là que réside son enjeu : comment les masses pourraient-elles percevoir le message s’il ne lui est pas donné d’être accessible ? Prenons pour exemple la poésie symboliste : avant tout “élitiste”, elle aboutira immanquablement au culte du moi, comme le suggère très bien cette sentence sans appel de Mallarmé : “Que les masses lisent la morale, mais de grâce ne leur donnez pas notre poésie à gâter” : placé au-dessus de tout, l’art ne semble réservé qu’à quelques initiés, seuls capables d’en saisir le sens. C’est justement cet hermétisme que condamne Paul Éluard : si la poésie est trop lyrique ou trop personnelle, elle risque de se couper du monde réel. La conscience poétique, par essence individuelle, ne peut conséquemment être qu’action collective : le poète est un éveilleur de conscience. Il parle pour que le peuple se mette en question. Ce n’est pas un hasard si la conférence de Paul Éluard, tout comme le poème de René Daumal, datent de 1936. Ancrés dans l’actualité la plus brûlante, ils traduisent cette capacité du peuple à être sujet de l’histoire. C’est bien là tout le sens de la poésie engagée : on sent nettement à la lecture des textes leur enracinement dans les idéaux d’universalité des Lumières et dans la capacité de la poésie de se faire l’expression du peuple. De là son exigence primordiale d’universalité et d’égalité entre les hommes, permise par l’accessibilité du langage. Cette poésie réaliste, ancrée dans la contingence de son époque, nul mieux que Jacques Prévert s’en est servi pour transcrire la vie quotidienne. “Les mots, disait-il, sont les enfants du vocabulaire, il n’y a qu’à les voir sortir des cours de création. Là, ils se réinventent et se travestissent, ils éclatent de rire…” On reconnaît dans cette citation toute la tendresse de celui qui sut, par sa prose instinctive, traduire les imageries populaires les plus universelles. On pourrait évoquer aussi la poésie naturaliste d’un Aristide Bruant qui entend faire du peuple assimilé au prolétariat, la matière de ses poèmes : “Le beau ayant pour fonction de servir le vrai, nous sommes de ceux qui pensent que la poésie a une mission sociale […]. Affirmer qu’elle sera socialiste, c’est affirmer qu’elle sera populaire ; car il y a nécessairement une espèce de solidarité grandiose entre le peuple et le poète…”.

[1-3 : la poésie comme moteur de changements collectifs]

Comme nous le voyons, dans sa prétention de parler “pour tous”, le poète milite plus encore en faveur du changement idéologique. L’engagement est par définition une mise en question du statisme et de l’immobilisme. C’est donc du fait historique que la poésie engagée tire sa légitimité ; c’est par l’Histoire qu’elle entre dans l’Histoire. “Les dernières paroles du poète” s’apparentent d’assez loin d’ailleurs à une poésie, telle qu’elle est reconnue par la tradition : tantôt manifeste, discours, art dramatique, plaidoyer, réquisitoire, elle débouche sur l’allégorie très politique du poète porte-parole du peuple. Particulièrement au vingtième siècle, les poètes ont en effet revendiqué l’ancrage de la poésie dans une historicité cosmopolite. Les bouleversements socio-historiques les ont amenés à remettre en cause nombre de fondements jugés incompatibles avec la société de leur temps. La poésie vers-libriste par exemple a exploité avec brio le rythme pour revendiquer son nécessaire rapport à la contemporanéité. Mais outre le style, c’est bien le statut de l’intellectuel qui s’est trouvé transformé par l’engagement : il est devenu en quelque sorte un juge à l’égard de ceux qui ne se sont pas engagés. Dans sa volonté de parler “pour tous”, il décrédibilise ceux qui, n’engageant que leur “conscience personnelle”, n’ont pas la prétention de se révolter comme lui. On pourrait rappeler à ce titre combien l’engagement d’Aragon des années Trente aux années soixante-dix dans le journal communiste L’Humanité fut l’occasion, pour nombre d’intellectuels, de poser la question de la responsabilité politique de l’écrivain. C’est bien là qu’est la question : le poète doit-il rendre compte de son art ? Faut-il dès lors, comme le suggère l’affirmation d’Éluard, déclarer le non-politique comme le champ de l’arbitraire et conséquemment la poésie individualiste comme sclérosante ?

[Deuxième partie. Antithèse. L’énonciation lyrique, par définition individualisante, n’est-elle pas à la base même de la poésie ?]

Comme nous l’avons vu, la question d’une poésie qui parlerait pour tous se conjugue avec une présence totale et immédiate de ce que les philosophes appelleraient “l’être au monde” : le poète est de son temps. Mais s’il parle au présent actuel, il prétend en même temps à une sorte de vérité générale qui place le peuple au centre de ses revendications. Une telle conception n’est-elle pas toutefois réductrice ?

[2-1 : la poésie est l’expression du moi]

Tout d’abord, il ne faut pas se méprendre sur le sens profond de l’art poétique : avant d’être engagement pour les autres, la poésie est engagement pour soi-même. C’est l’être entier qu’elle engage ; c’est son univers intérieur et son intimité que le poète traduit en mots sur la page blanche. D’ailleurs, la réalité extérieure importe peu dans de nombreuses poésies, qui s’en distancient même volontairement pour privilégier davantage l’expression de l’émotion et des sentiments. Évoquant en 1924 la poétique de Baudelaire, Paul Valéry notait d’ailleurs

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