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Santé Mentale Et Production D'Expérience

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ationalités étrangères. Pour schématiser cela, on aurait d’un côté (celui de l’institution) des modalités de contrôle objectivantes, de l’autre (celui des usagers) une plainte multiple, exprimant des réalités extraordinairement variées et, entre les deux, les assistantes sociales. La conclusion sera l’occasion d’élargir nos questionnements aux implications sociales et psychologiques des formes de mise en pensée du sujet au travail. Une situation « exemplaire » Le travail cité plus haut a été mené dans deux institutions distinctes chargées de la mise en œuvre, dans un même département, du Service Social Départemental, Elles emploient respectivement 70 et 140 assistantes sociales déployées sur le territoire dans le cadre des Circonscriptions d’Action Médico-Sociale. La méthode s’est inspirée des formes d’analyse mettant au centre la parole des salariés comme objet même de la compréhension des rapports subjectifs au travail. Mais nous n’y reviendrons pas dans le cadre de cet article. Les résultats soulignent le poids de la peur et des stratégies de lutte contre la peur dans le discours des assistantes sociales.

1-

Bonorat N., « Etude des interactions dynamiques entre organisation du travail et subjectivité », in forum n°93, Septembre 2000.

L’apport essentiel du travail de N. Boronat est de montrer comment les conditions proposées à l’activité vont avoir des conséquences sur la façon dont sont investis le travail, les modes de coopération et le vécu au travail. Elle distingue un certain nombre d’éléments structurels : la hiérarchisation administrative des services sociaux, l’industrialisation du service social, la modification du code de la famille et du code pénal qui amènent (en ce qui concerne l’enfance en danger et le secret professionnel) à un fonctionnement plus administratif. Au-delà de ces dimensions générales, des caractéristiques plus contextualisées existent. On peut, entre autre, citer le déficit dans la communication des stratégies des collectivités (inexistantes ou bien incohérentes) qui laisse les assistantes sociales définir elles-mêmes les priorités de leur action. La méfiance est aussi un point central, méfiance des élus envers les assistantes sociales, développant les formes de contrôle par le biais d’une organisation hiérarchisée, mais également méfiance des assistantes envers leurs responsables. Elles émettent clairement des doutes quant à la solidarité de la hiérarchie en cas de problème. Enfin, les critères d’évaluation du travail ne semblent pas être du même registre pour les divers acteurs. Dans les verbalisations des assistantes sociales, le critère final d’appréciation de leur travail par les politiques est que « les usagers ne doivent pas se plaindre » alors qu’elles-mêmes ont des approches plus larges de l’évolution des résultats (sujet délicat s’il en set). Les divergences dans les critères d’évaluation du travail social tendent à biaiser, pour le cas qui nous intéresse, les processus de communication. Le contexte global (dimensions structurelles et contextuelles, que nous ne reprenons pas de manière exhaustive) est à mettre en lien avec la difficulté à parler les pratiques, à s’engager dans une véritable tentative de formalisation de l’activité, des choix qu’elle exige, des contradictions auxquelles elle confronte les assistantes sociales. On semble se situer dans une suite de récriminations croisées, témoignant d’une forme d’évitement d’une parole, sur et à partir de l’activité. On peut rapprocher ces éléments avec analyse, menée par M-P. Guiho-Bailly (2). La peur, pourtant, est omniprésente dans les productions langagières, sinon directement du moins comme affect, qu’il s’agit de mettre à distance. Un espace entre deux syntaxes La plainte des usagers apparaît dans les expressions des professionnelles comme une vague revenant sans fin, une déferlante face à laquelle on est démuni, par manque d’outils, de réponse. Même si, de manière ironique, la plainte ne demande pas toujours de réponse (cf. B. Jacobi (3)) comme si elle ne demandait, par la mise en impossibilité de répondre, que la confirmation de l’exclusion. Ajoutons à cela que les assistantes sociales sont de plus en plus confrontées à un public diplômé, ne répondant pas au profil « classique » de leurs « clients ». Au fond, elles sont de plus en plus souvent confrontées à un autre qui leur ressemble. Enfin il convient de ne pas sous-estimer la violence dont elles sont victimes et qui va faire porter sur elles la problématique d’une restauration impossible. En ce qui concerne l’institution, on s’aperçoit (et on peut largement déborder le terrain de N. Bonorat, tant on peut en voir de nombreux exemples) que les exigences d’évaluation sont l’entrée privilégiée des modes de qualification, d’objectivation, d’une volonté de maîtrise gestionnaire d’un service qui, défini comme un service, vient masquer l’essentiel de l’activité déployée par les assistantes sociales.

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- Guiho-Bailly M-P., « Questionnement de la stratégie défensive d’un collectif de femmes dans le travail social », in Actes du colloque International de Psychodynamique et Psychopathologie du Travail, Tome II, CNAM, Paris, 1997. - Jacobi B., Les mots et la plainte, Erès, Ramonville, 1998.

Pour aller un peu plus loin dans cette perspective, l’assistante sociale ne produit plus le service : il est déjà produit ailleurs, elle n’en est que le point de circulation. Cette conjonction particulière est réellement une situation de souffrance. En effet, lorsque l’on doit se contenter de mettre en adéquation des mesures (aides au logement ou autres) avec des profils administratifs d’usagers, où est la part subjective dans l’activité ? Quel est l’investissement des savoirs professionnels ? Quelle est la valeur de la relation établie avec les « clients » ? L’écran de la défense entre soi et l’autre vient alors protéger le sujet et lui permettre de gérer la contradiction dans laquelle il est pris. Les phénomènes défensifs peuvent se traduire de diverses manières, notamment par un maintien dans l’anonymat des usagers, une non-implication rigidifiée. La désubjectivation de l’autre (ramené au statut d’objet du travail) appartient au même mouvement que l’intention (ou nécessité) de se dégager des défis impossibles du travail. On veut échapper à la souffrance et on s’aliène dans un mode défensif aux conséquences sociales et subjectives lourdes, ayant un impact sur la construction de l’identité professionnelle, sur les possibilités d’élaboration de pratiques. Cette situation n’est pas propre aux assistantes sociales, on la retrouve dans les métiers qui opèrent une médiation entre public identifié (stigmatisé ?) comme étant en difficulté. Les animateurs et, sur un autre registre, les formateurs sont confrontés à des réalités de cet ordre. Cela nous permet de faire une parenthèse et de nous interroger sur le sens de ce type d’activité. Elle témoigne du fait que tout travail de médiation s’inscrit aussi dans la gestion d’une déliaison portée en souffrance par les acteurs de la médiation. Cette déliaison se donne à voir dans la distance pouvant exister entre les remontées du terrain et les axes d’évaluation des structures technico-politiques. Ce sont en quelque sorte les professionnels qui assurent, souvent à leur corps défendant, cette distance. Une série de conséquences L’élément essentiel est la quasi-impossibilité dans laquelle se trouvent les assistantes sociales de lier des distorsions extérieures. Elles se trouvent face à ce que nous appellerons une aporie (une impasse logique) socialement construite qui crée en retour une distorsion intérieure. Celle-ci est gérée à la fois sur un plan individuel et sur un plan collectif. Sur le plan individuel, la souffrance a pour effet de bloquer la production d’expérience, point sur lequel nous reviendrons. Cela donne le repli sur soi, la protection vis-à-vis de la plainte du public… Sur le plan collectif, on en arrive à ne plus travailler ensemble, à ne plus construire ensemble. On est, avec les assistantes sociales exactement dans la problématique centrale des risques psychosociaux : celle de l’impuissance. L’aporie socialement construite mène à l’impuissance à agir dans la liaison entre deux formes de réalité, c'est-à-dire là où peut se produire un sens du travail qui prend appui dans un espace public où se définit et se formule la fonction sociale et technique des assistantes sociales. Mais l’impuissance se décline à différents niveaux : dans le lien à la hiérarchie, aux usagers, aux pairs. Renvoyées aux incohérences des modes proposés à l’action, les assistantes sociales doivent trouver des stratégies qui leur permettent de tenir au travail. L’aporie caractérisant la mise en œuvre des déterminants de l’activité fait que le sujet ne s’autorise littéralement plus à dire, que la pratique ne peut se mettre en mots. Cette forme de violence sociale engendre une absence de pensée de la part des assistantes sociales, ce qui peut se lire comme une violence qu’elles exercent sur elles-mêmes. Il est important de souligner que la violence n’est pas forcément bruyante, spectaculaire mais qu’elle peut être insidieuse, rampante, par la mise en impossibilité de trouver des espaces de sens dans son activité. Elle est alors un fait de système, et ne

se traduit pas automatiquement par des actes qui sont moralement réprouvables.

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