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Antigone De Jean Anouilh

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gone a levé sans étonnement ses yeux graves sur lui et elle lui a dit avec un petit sourire triste... L'orchestre attaquait une nouvelle danse, Ismène riait aux éclats, là-bas, au milieu des autres garçons, et voilà, maintenant, lui, il allait être le mari d'Antigone. Il ne savait pas qu'il ne devait jamais exister de mari d'Antigone sur cette terre et que ce titre princier lui donnait seulement le droit de mourir. Cet homme robuste, aux cheveux blancs, qui médite là, près de son page, c'est Créon. C'est le roi. Il a des rides, il est fatigué. Il joue au jeu difficile de conduire les hommes. Avant, du temps d'Oedipe, quand il n'était que le premier personnage de la cour, il aimait la musique, les belles reliures, les longues flââneries chez les petits antiquaires de Thèbes. Mais Oedipe et ses fils sont morts. Il a laissé ses livres, ses objets, il a retroussé ses manches, et il a pris leur place. Quelquefois, le soir, il est fatigué, et il se demande s'il n'est pas vain de conduire les hommes. Si cela n'est pas un office sordide qu'on doit laisser à d'autres, plus frustes... Et puis, au matin, des problèmes précis se posent, qu'il faut résoudre, et il se lève, tranquille, comme un ouvrier au seuil de sa journée. La vieille dame qui tricote, à côté de la nourrice qui a élevé les deux petites, c'est Eurydice, la femme de Créon. Elle tricotera pendant toute la tragédie jusqu'à ce que son tour vienne de se lever et de mourir. Elle est bonne, digne, aimante. Elle ne lui est d'aucun secours. Créon est seul. Seul avec son petit page qui est trop petit et qui ne peut rien non plus pour lui. Ce garçon pââle, là-bas, au fond, qui rêve adossé au mur, solitaire, c'est le Messager.C'est lui qui viendra annoncer la mort d'Hémon tout à l'heure. C'est pour cela qu'il n'a pas envie de bavarder ni de se mêler aux autres. Il sait déjà... Enfin les trois hommes rougeauds qui jouent aux cartes, leurs chapeaux sur la nuque, ce sont les gardes. Ce ne sont pas de mauvais

bougres, ils ont des femmes, des enfants, et des petits ennuis comme tout le monde, mais ils vous empoigneront les accusés le plus tranquillement du monde tout à l'heure. Ils sentent l'ail, le cuir et le vin rouge et ils sont dépourvus de toute imagination. Ce sont les auxiliaires toujours innocents et toujours satisfaits d'eux-mêmes, de la justice. Pour le moment, jusqu'à ce qu'un nouveau chef de Thèbes dûment mandaté leur ordonne de l'arrêter à son tour, ce sont les auxiliaires de la justice de Créon. Et maintenant que vous les connaissez tous, ils vont pouvoir vous jouer leur histoire. Elle commence au moment où les deux fils d'Oedipe, Etéocle et Polynice, qui devaient régner sur Thèbes un an chacun à tour de rôle, se sont battus et entre-tués sous les murs de la ville, Etéocle l'aîné, au terme de la première année de pouvoir, ayant refusé de céder la place à son frère. Sept grands princes étrangers que Polynice avait gagnés à sa cause ont été défaits devant les sept portes de Thèbes. Maintenant la ville est sauvée, les deux frères ennemis sont morts et Créon, le roi, a ordonné qu'à Etéocle, le bon frère, il serait fait d'imposantes funérailles, mais que Polynice, le vaurien, le révolté, le voyou, serait laissé sans pleurs et sans sépulture, la proie des corbeaux et des chacals... Quiconque osera lui rendre les devoirs funèbres sera impitoyablement puni de mort. Pendant que le Prologue parlait, les personnages sont sortis un à un. Le Prologue disparaît aussi. L'éclairage s'est modifié sur la scène. C'est maintenant une aube grise et livide dans une maison qui dort. Antigone entr'ouvre la porte et rentre de l'extérieur sur la pointe de ses pieds nus, ses souliers à la main. Elle reste un instant immobile à écouter. La nourrice surgit.

LA NOURRICE __ D'où viens-tu ? ANTIGONE __ De me promener, nourrice. C'était beau. Tout était gris. Maintenant, tu ne peux pas savoir, tout est déjà rose, jaune, vert. C'est devenu une carte postale. Il faut te lever plus tôt, nourrice, si tu veux voir un monde sans couleurs. Elle va passer. LA NOURRICE __ Je me lève quand il fait encore noir, je vais à ta chambre, pour voir si tu ne t'es pas découverte en dormant et je ne te trouve plus dans ton lit ! ANTIGONE __ Le jardin dormait encore. Je l'ai surpris, nourrice. Je l'ai vu sans qu'il s'en doute. C'est beau un jardin qui ne pense pas encore aux hommes. LA NOURRICE __ Tu es sortie. J'ai été à la porte du fond, tu l'avais laissée entrebââillée. ANTIGONE __ Dans les champs, c'était tout mouillée, et cela attendait. Tout attendait. Je faisais un bruit énorme toute seule sur la route et j'étais gênée parce que je savais bien que ce n'était pas moi qu'on attendait. Alors j'ai enlevé mes sandales et je me suis glissée dans la campagne sans qu'elle s'en aperçoive... LA NOURRICE __ Il va falloir te laver les pieds avant de te remettre au lit. ANTIGONE __ Je ne me recoucherai pas ce matin LA NOURRICE __ A quatre heures ! Il n'était pas quatre

heures ! Je me lève pour voir si elle n'était pas découverte. Je trouve son lit froid et personne dedans. ANTIGONE __ Tu crois que si on se levait comme ça tous les matins, ce serait tous les matins aussi beau, nourrice, d'être la première fille dehors ? LA NOURRICE __ La nuit ! C'était la nuit ! Et tu veux me faire croire que tu as été te promener, menteuse ! D'où viens-tu ? ANTIGONE, a un étrange sourire. __ C'est vrai, c'était encore la nuit. Et il n'y avait que moi dans toute la campagne à penser que c'était le matin. C'est merveilleux, nourrice. J'ai cru au jour la première aujourd'hui. LA NOURRICE __ Fais la folle ! Fais la folle ! Je la connais, la chanson. J'ai été fille avant toi. Et pas commode non plus, mais dure tête comme toi, non. D'où viens-tu, mauvaise ? ANTIGONE, soudain grave. __ Non. Pas mauvaise. LA NOURRICE __ Tu avais un rendez-vous, hein ? Dis non, peut-être. ANTIGONE, doucement. __ Oui. J'avais un rendez-vous. LA NOURRICE __ Tu as un amoureux ? ANTIGONE, étrangement, après un silence. nourrice, oui, le pauvre. J'ai un amoureux. LA NOURRICE, éclate.

__ __

Oui,

Ah ! c'est du joli ! c'est du

propre ! Toi, la fille d'un roi ! Donnez-vous du mal ; donnez-vous du mal pour les élever ! Elles sont toutes les mêmes ! Tu n'étais pourtant pas comme les autres, toi, à t'attifer toujours devant la glace, à te mettre du rouge aux lèvres, à chercher à ce qu'on te remarque. Combien de fois je me suis dit : > Hé bien, tu vois, tu étais comme ta soeur, et pire encore, hypocrite ! Qui est-ce ? Un voyou, hein, peutêtre? Un garçon que tu ne peux pas dire à ta famille : > Voilà ce qu'elle me dira ta mère, là-haut, quand j'y monterai, et moi j'aurai honte, honte à en mourir si je n'étais pas déjà morte, et je ne pourrai que baisser la tête et répondre : > Elle sait pourquoi je suis sorti ce matin. LA NOURRICE __ Tu n'as pas d'amoureux ? ANTIGONE __ Non, nounou. LA NOURRICE __ Tu te moques de moi, alors ? Tu vois, je suis trop vieille. Tu étais ma préférée, malgré ton sale caractère. Ta soeur était plus douce, mais je croyais que c'était toi qui m'aimais. Si tu m'aimais, tu m'aurais dit la vérité. Pourquoi ton lit était-il froid quand je suis venu te border ?

ANTIGONE __ Ne pleure plus, s'il te plaît, nounou. (Elle l'embrasse) Allons, ma vieille bonne pomme rouge. Tu sais quand je te frottais pour que tu brilles ? Ma vieille pomme toute ridée. Ne laisse pas couler tes larmes dans toutes les petites rigoles, pour des bêtises comme cela pour rien. Je suis pure, je n'ai pas d'autre amoureux qu'Hémon, mon fiancé, je te le jure. Je peux même te jurer, si tu veux, que je n'aurai jamais d'autre amoureux... Garde tes larmes, garde tes larmes ; tu en auras peut-être besoin encore, nounou. Quand tu pleures comme cela, je redeviens petite... Et il ne faut pas que je sois petite ce matin. Entre Ismène. ISMENE __ Tu es déjà levée ? Je viens de ta chambre. ANTIGONE __ Oui, je suis déjà levée. LA NOURRICE __ Toutes les deux alors ! ... Toutes les deux vous allez devenir folles et vous lever avant les servantes ? Vous croyez que c'est bon d'être debout le matin à jeun, que c'est convenable pour des princesses ? Vous n'êtes seulement pas couvertes. Vous allez voir que vous allez encore me prendre mal. ANTIGONE __ Laisse-nous, nourrice. Il ne fait pas froid, je t'assure ; c'est déjà l'été. Va nous faire du café. (Elle s'est assise, soudain fatiguée) Je voudrais bien un peu de café, s'il te plaît, nounou. Cela me ferait du bien. LA NOURRICE __ Ma colombe ! La tête lui tourne d'être sans rien et je suis là comme une idiote au lieu de lui donner quelque chose de chaud. Elle sort vite. ISMENE __ Tu es malade ?

ANTIGONE __ Ce n'est rien. Un peu de fatigue. (Elle sourit) C'est parce que je me suis levée tôt. ISMENE __ Moi non plus, je n'ai pas dormi. ANTIGONE, sourit encore. __ Il faut que tu dormes. Tu serais moins belle demain. ISMENE __ Ne te moque pas. ANTIGONE __ Je ne me moque pas. Cela me rassure ce matin, que tu sois belle. Quand j'étais petite, j'étais

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