DissertationsEnLigne.com - Dissertations gratuites, mémoires, discours et notes de recherche
Recherche

Fiche De Lecture Susan Sontag

Dissertations Gratuits : Fiche De Lecture Susan Sontag. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoires
Page 1 sur 11

du temps. Une photo est à la fois une pseudo-présence et une marque de l'absence. Comme un feu de bois dans une pièce, les photos, et particulièrement les photos de personnes, de paysages distants, de villes lointaines, d'un passé révolu, sont des incitations à la rêverie. Le sentiment de l'inaccessible, que les photos peuvent susciter, se branche directement sur l'érotisme de ceux chez qui la distance rend l'objet plus désirable.

Il est possible que les photos soient plus mémorables que les images animées, car elle délimitent des tranches de temps ; elles ne défilent pas. La limite de savoir de la photographie peut donner du monde est que, tout en ouvrant aiguillonner la conscience, elle ne peut en fin de compte jamais apporter aucune connaissance d'ordre éthique ou politique. Le savoir tiré des photographies sera toujours une certaine forme de sentimentalisme, qu'il soit cynique ou humaniste. Mais d'autres sentiments, moins libérateurs, s'y expriment également. Il ne serait pas faux de dire que les gens ont un besoin compulsif de photographier : de transformer le vécu lui-même en une façon de voir. Aujourd'hui, tout existe pour aboutir à une photographie. L'Amérique à travers le miroir obscur des photographies. Je suis convaincu que la majesté et la beauté du monde se trouvent, à l'état latent, dans la moindre de ses parcelles… Je suis convaincu qu'il y a dans les choses insignifiantes, les insectes, les gens vulgaires, les esclaves, les nains, les mauvaises herbes, le rebut, beaucoup plus que je ne croyais…» Dans l'esprit de Whitman, il ne s'agissait pas d'abolir la beauté, mais de la généraliser. C'est ce que firent, pendant des générations, les plus doués des photographes américains, dans leur poursuite de l'insignifiant et du vulgaire. Quand vous photographiez des nains, vous n'obtenez pas la majesté et la beauté. Vous obtenez des nains. le dernier grand photographe à travailler avec sérieux et assurance dans un état d'esprit issu de l'humanisme euphorique de Whitman L'appareil photo d'Evans dégageait la même beauté formelle des façades de demeures victoriennes de Boston au début des années 1930 que des bâtiments commerciaux de la grand-rue des villes d'Alabama en 1936. Mais c'était un nivellement par le haut, pas par le bas. Le dernier soupir de l'étreinte whitmanienne, unissant l'artiste à la nation, se fit entendre sous une forme universalisée, dépouillée de toutes exigences, dans l'exposition « La Famille humaine », organisée en 1955 par Edward Steichen prouver que l'humanité est « une » et que tous les êtres humains, malgré leurs failles et toutes leurs bassesses, sont beaux à voir. L'exposition de Steichen était tonifiante et celle d'Arbus déprimante, mais toutes deux aboutissent avec autant de succès à empêcher que la réalité soir comprise d'un point de vue historique. nie le poids déterminant de l'histoire, des différences, des injustices, des conflits

authentiques et inscrits dans l'histoire. Les photographies d'Arbus court-circuitent tout aussi nettement la dimension politique en suggérant un monde où chacun est un étranger, où chacun est désespérément isolé, figé dans une identité et des relations infirmes, mécaniques. Pour autant que regarder les photographies d'Arbus soit une épreuve, et c'en est indéniablement une, elles sont représentatives du genre d'art en vogue de nos jours auprès d'un public cultivé : un art qui lui permet de contrôler sa propre solidité. Ses photos offrent une occasion de démontrer que l'on peut affronter sans frémir les horreurs de la vie. La photographe a dû se dire un jour « D'accord, je suis capable d'accepter cela. » Le spectateur est invité à faire la même déclaration. L'oeuvre d'Arbus est un bon exemple d'une des grandes tendances de l'art des pays capitalistes : supprimer, ou du moins diminuer, la répugnance morale et sensorielle. Une grande partie de l'art moderne se consacre à abaisser le seuil de l'effroyable. […] Au fur et à mesure que notre délicatesse s'émousse, nous approchons d'une vérité assez pauvre : celle de l'arbitraire des tabous érigés par l'art et par la morale. Mais notre capacité à avaler des doses croissantes de grotesque, sous forme d'images (animées et fixes) et de texte, se paye cher. A la longue, ce n'est pas une libération qu'éprouve la personnalité, mais un amoindrissement : une pseudo-familiarité avec l'horreur renforce l'aliénation, en diminuant la capacité à réagir dans la vie réelle. […] Ces photos donnent l'impression que la compassion est une réaction inappropriée. L'important est de ne pas être bouleversé, d'être capable de faire face à l'intolérable avec sérénité. Mais ce regard, où, pour l'essentiel, la compassion n'entre pas, est une construction éthique particulière, moderne : il n'est pas fait de dureté, certainement pas de cynisme, mais de simple (ou fausse) naïveté. Pour qualifier la réalité douloureuse et cauchemardesque du monde, Arbus utilisait des adjectifs comme « extraordinaire », « intéressante », « incroyable», « fantastique», « sensationnelle » : l'étonnement enfantin de la mentalité pop. Il ne cesse d'essayer de coloniser de nouvelles expériences ou de trouver des façons nouvelles de regarder des sujets familiers, afin de se battre contre l'ennui. L'esthète, dans une subversion que les années soixante allaient s'approprier comme une de leurs caractéristiques, propose la définition de la vie comme parade monstrueuse pour servir d'antidote à la vie comme ennui. Les modèles des photos d'Arbus ont tous un air de famille, sont des habitants d'un même village. Il se trouve seulement que ce village peuplé d'idiots, c'est l'Amérique. Au lieu de montrer l'identité de choses différentes (c'était la perspective démocratique de Whitman), elle montre que chacun ressemble à tous. Ce qui nous reste du rêve discrédité de la révolution culturelle whitmanienne, ce sont des fantômes de papier et un programme de désespérance au regard acéré. savantes, définitives, transcendantes". "L'intention implicite de Frank et d'Arbus, et de bon nombre de leurs contemporains et de leurs cadets, est de montrer que

l'Amérique est bien le tombeau de l'Occident. Le monde de l'image Plus nous remontons dans l'histoire comme l'a fait remarquer E.H.Gombrich, moins la distinction entre les images et les choses réelles a de netteté ; dans les société primitives, la chose et son image étaient simplement deux manifestations différentes, c'est-à-dire physiquement distinctes, de la même énergie ou du même esprit. Avec tout ce que l'on sait sur ce que le monde renferme (art, catastrophes, beautés naturelles) par l'intermédiaire des photos, l'on est souvent déçu, surpris, insensible quand on voit la chose même. Une société capitaliste exige une culture assise sur les images. Elle doit fournir de la distraction en grosse quantité afin de stimuler la consommation et d'« analgésier » les blessures de classe, de race et de sexe. […] L'appareil photo définit la réalité sur les deux modes qui sont essentiels au fonctionnement d'une société industrielle avancée : comme spectacle (pour les masses) et comme objet de surveillance (pour les dirigeants). L'héroïsme de la vision. Une dizaine d'années après le remplacement du daguerréotype (premier procédé photographique utilisable) par le procédé négatif-positif de Talbot, au milieu des années 1840, un photographe allemand inventait la première technique de retouche des négatifs. Ses deux versions d'un même portrait, l'un retouché, l'autre non, stupéfièrent les foules à l'Exposition Universelle de 1855 à Paris (la seconde du genre, et la première à présenter une exposition de photos). La nouvelle que l'appareil photo pouvait mentir fit augmenter le nombre de candidats à se faire photographier. Depuis l'invention de l'appareil photo, il existe une forme particulière d'héroïsme : l'héroïsme de la vision. […] Les photographes se lancèrent dans leurs safaris culturels, sociaux et scientifiques, à la recherche d'images frappantes. […] Alfred Stieglitz raconte avec fierté qu'il avait passé trois heures debout dans un blizzard, le 22 février 1893, « attendant le bon moment » pour prendre sa célèbre photo « Fifth Avenue, Winter». («La 5e Avenue en hiver »). Ce bon moment, c'est celui où l'on peut voir des choses (surtout celles que tout le monde a vues) sous un jour nouveau. L'affût devint le trait caractéristique du photographe dans l'imagination populaire. Mais bien que depuis les années 1840, les peintres et les photographes se soient mutuellement influencés et pillés de façons multiples, leurs méthodes sont fondamentalement opposées. Le peintre construit, le photographe révèle. En d'autres termes, notre perception d'une photographie est toujours dominée par l'identification de son sujet, ce qui n'est pas nécessairement le cas en peinture.

ressemble à un drapé : un titre est nécessaire pour l'identifier. Ainsi l'image atteintelle son but de deux façons. La forme en est agréable et (surprise !) c'est celle d'une feuille de chou. Si c'était vraiment un drapé, cela ne serait

...

Télécharger au format  txt (16.5 Kb)   pdf (138.8 Kb)   docx (11.7 Kb)  
Voir 10 pages de plus »
Uniquement disponible sur DissertationsEnLigne.com