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s à séduire, manipuler, gérer l’opinion publique ou même nier la réalité de son existence quand cela sert les stratégies de pouvoir. 2. Marc Lynch, « Beyond the Arab Street: Iraq and the Arab Public Sphere », Politics & Society, mars 2003-03, vol. 31, n° 1, p. 55-91. 3. Nous optons ici pour une définition institutionnelle du monde arabe. Il est composé des pays qui font partie de la Ligue des États Arabes.

Raisons politiques, n° 19, août-septembre 2005, p. 45-62. © 2005 Presses de la Fondation nationale des sciences politiques.

D

dossier

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formulation des politiques étrangères 4 vers cette région, représente pour de nombreux observateurs 5 une orientation tout à fait nouvelle. En effet, l’opinion publique arabe ne constitue pas uniquement une question de politique interne, sa dimension internationale est à certains égards plus importante. Les États-Unis ont mesuré, à l’occasion des attentats du 11 septembre 2001, l’incapacité des gouvernements arabes alliés à contrôler leurs opinions et à protéger les États-Unis des conséquences de l’hostilité populaire envers leur politique étrangère dans le monde arabe. La « surprise » de l’administration américaine fut d’autant plus grande que les auteurs des attentats appartenaient aux trois pays arabes considérés comme les alliés les plus fidèles des États-Unis dans le monde arabe, à savoir l’Arabie Saoudite, l’Égypte et le Koweït. La leçon est limpide : le contrôle que les États-Unis exercent sur certains gouvernements arabes n’englobe pas leurs opinions publiques, bien au contraire, l’hostilité populaire à l’égard de la politique américaine est d’autant plus forte que les États-Unis soutiennent les régimes en place 6. Cette incapacité des États arabes d’influencer ou de contenir les sentiments politiques populaires est l’aboutissement du long processus de modernisation sociale 7 et d’autonomisation des opinions publiques par rapport aux idéologies officielles. L’ère du nationalisme étatique qui mobilise les foules, consolide les régimes et légitime leurs actions appartient au passé, les mobilisations se font de plus en plus contre l’État, ou du moins hors du champ de son contrôle direct. Le monde arabe serait ainsi passé de l’ère du « nationalisme étatique mobilisateur 8 » à l’empire des opinions publiques 9 dans un contexte politique et culturel dominé par le référent islamique, et exacerbé par le retour de la domination étrangère.

4. Alexander T. J. Lennon, The Battle for Hearts and Minds, Using Soft Power to Undermine Terrorist Networks, Cambridge, The MIT Press, 2003. 5. M. Lynch, « Taking Arabs seriously », Foreign Affairs, septembre-octobre 2003, vol. 82, n° 5. 6. Ce qui a été enfin reconnu par le secrétaire d’État américain, Condoleezza Rice, lors de son discours à l’Université américaine du Caire, le 20 juin 2005, http://usinfo.state.gov/ fr/Archive/2005/Jun/21-182034.html. 7. Hassan Hakimian et Ziba Moshaver( dirs.), The State and Global Change: the Political Economy of Transition in the Middle East and North Africa, Richmond, Curzon, 2001. 8. Yaqub Salim, Containing Arab Nationalism: the Eisenhower Doctrine and the Middle East, Chapel Hill, Londres, University of North Carolina Press, 2004. 9. Lamis Andoni, « Deeds Speak Louder than Words », Washington Quaterly, 25, n° 2, 2002, p. 85-100.

L’opinion publique arabe entre logiques étatiques et solidarités transnationales – 47

Désormais, l’opinion publique est considérée par les gouvernements arabes plus comme une contrainte que comme une ressource ; les foules ne sont plus prêtes à suivre l’appel du chef charismatique. La gestion des opinions publiques nationales, par les gouvernements arabes ou les acteurs extérieurs, est compliquée par l’émergence d’une opinion commune à l’ensemble des pays arabes dont le poids est renforcé, notamment, par l’apparition et le développement 10 des médias panarabes. Cette opinion publique « transnationale » est devenue le principal enjeu de stratégies médiatiques concurrentes. Ces jeux de « diplomatie médiatique », initiés par des États ou par des groupes privés alliés au pouvoir, expliquent en grande partie la puissance des chaînes d’informations télévisuelles en langue arabe et notamment de la chaîne qatarie Al-Jazira 11. Ces évolutions, accentuées par l’impact des médias panarabes et la cristallisation d’un espace public transnational de moins en moins subordonné à la sphère politique, indiquent que les décisions politiques dans les pays arabes seront influencées de plus en plus par une opinion publique qui dispose d’informations en temps réel. L’administration américaine semble avoir pris acte de ces évolutions dans la formulation de ses stratégies vis-à-vis du Moyen-Orient. Les exclus actuels de la scène dite de « politique légitime », et notamment les islamistes, se voient ainsi reconnaître un impact décisif sur les opinions publiques arabes, susceptible d’avoir des effets mesurables lors de tout scrutin pluraliste et dit « honnête ». Cette surprenante mise sur l’agenda mondial de la question de l’opinion publique arabe est multifonctionnelle, et se heurte aux intérêts contradictoires des différents protagonistes du jeu politique dans la région. Cependant, l’enjeu principal reste en fin de compte la pérennisation des mécanismes qui assurent la domination américaine sur le Moyen-Orient. Si la volonté populaire risque de remettre en cause cette domination, alors l’opinion publique sera, à travers divers procédés, marginalisée par l’administration américaine avec la bénédiction des gouvernements arabes.

10. Abdallah Schleifer, « Média Explosion in the Arab World: The Pan-Arab Satellite Broadcasters », Transnational Broadcasting Studies Journal, n° 3, 1999. 11. Mohammed El Oifi, « Influence without Power: Al-Jazeera and the Arab / Public Sphere », in Mohamed Zayani, The Al-Jazeera Phenomenon Critical Perspectives on New Arab Média, Londres, Pluto Press, 2005.

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Les structures et les dynamiques conflictuelles des opinions publiques arabes Un triple niveau de circulation de l’information Le processus de formation des opinions publiques dans le monde arabe est marqué par la cohabitation de trois niveaux de circulation de l’information en langue arabe. Le premier niveau est composé de médias nationaux, souvent contrôlés par les États, et dont le rôle principal est de renforcer l’identité nationale et d’asseoir la légitimité des régimes. Il s’agit à titre d’exemple de la télévision nationale soudanaise, syrienne ou marocaine. Le niveau international, constitué par les médias étrangers émettant en arabe vers la région, est historiquement très important, notamment grâce au rôle joué jusqu’en 1967 par le programme en langue arabe de la BBC. Ce niveau a été renforcé avec le lancement par les Américains de médias en langue arabe : la radio Sawa 12 en 2002, et la chaîne de télévision Al-Hurra 13 en 2004. Enfin, un troisième niveau, transnational, regroupe des médias « panarabes » ou « transarabes » qui prétendent dépasser les clivages nationaux et s’adresser directement au « téléspectateur arabe », sans tenir compte des spécificités nationales ni de la souveraineté des États. C’est à ce troisième niveau qu’appartiennent les chaînes AlJazira et Al-Arabiya, auxquelles on reconnaît désormais un rôle majeur dans la formation des opinions publiques et la cristallisation d’une opinion publique arabe transnationale 14. Historiquement, la naissance de la presse dans le monde arabe s’est faite dans un espace territorial que ne connaissaient pas encore les frontières nationales et la territorialisation étatique du politique. La presse panarabe a donc précédé la presse nationale. Cette particularité est due aux conditions de formation du monde arabe et de son autonomisation par rapport à l’empire ottoman 15. Ainsi, au milieu du 19e siècle, des Syro-Libanais furent

12. « Être ensemble » en arabe. 13. « La libre » en arabe. 14. Hugues Miles, Al-Jazeera, How Arab TV News Challenged the World, Londres, Abacus, 2005. 15. Ernest Dawn, From Ottomanism to Arabism, Essays on the Origins of Arab Nationalism, Chicago/Londres, University of Illinois Press, 1973.

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contraints d’émigrer vers l’Égypte fuyant la répression de l’Empire ottoman 16 qui, dans une ultime tentative de reprise en main des provinces arabes de l’empire, se heurte au nationalisme arabe naissant. L’Égypte, déjà largement indépendante par rapport à la Sublime Porte, a constitué le lieu privilégié de l’éclosion d’une presse qui s’adresse notamment aux Égyptiens, mais dont les fondateurs sont essentiellement des Syro-Libanais. C’est cette ambiguïté originelle qui confond presse nationale et presse panarabe, doublée du facteur homogénéisant de la langue, du poids de l’histoire et de la culture, qui a rendu possible les médias qui transcendent les frontières nationales. Durant le 20e siècle, trois expériences majeures vont renforcer le niveau panarabe de circulation de l’information et partant, la réalité d’une opinion publique arabe transnationale : le programme de la BBC en arabe à partir de 1939, la radio nassérienne

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