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Cass, 24 septembre 2009

Dissertation : Cass, 24 septembre 2009. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoires

Par   •  17 Octobre 2015  •  Dissertation  •  2 335 Mots (10 Pages)  •  1 064 Vues

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L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 24 septembre 2009 dans l’affaire dite du « Distilbène » marque une nouvelle étape importante dans l’évolution de l’indemnisation des victimes de produits médicaux défectueux.

        Une jeune femme atteinte d’une tumeur cancéreuse alléguait que cette tumeur était due à la prise d’une hormone de synthèse dénommée diéthylstilbestrol (DES) par sa mère lors de sa grossesse. A l’époque de cette grossesse, le produit était fabriqué et distribué en France par 2 laboratoires, sous 2 noms différents, et la victime n’était pas en mesure de déterminer lequel de ces laboratoires avait fabriqué le produit pris par sa mère. Elle assigne ainsi les 2 laboratoires

        La Cour d’appel avait considéré que le lien de causalité entre la tumeur cancéreuse et la molécule composant le Distilbène était clairement établi par l’expertise médicale, mais avait rejeté la demande d’indemnisation de la victime au motif qu’elle ne démontrait pas lequel des 2 laboratoires mis en cause avait fabriqué cette molécule. En effet, pour la débouter de sa demande en réparation des préjudices subis, la Cour d’appel retient que le fait que les fabricants aient tous deux mis sur le marché la molécule à l'origine du dommage, fait non contesté, ne peut fonder une action collective, ce fait n'étant pas en relation directe avec le dommage subi par la jeune femme, et qu'aucun élément de preuve n'établissait l'administration à celle ci du distilbène ni du Stilboestrol Borne.

        Le lien de causalité entre le fait générateur et le dommage étant prouvé, appartient-il encore à la victime de prouver de quel établissement provenait le produit médical défectueux pour qu’elle soit indemnisée ?

        La Cour de cassation, au visa de l’article 1382 du Code civil, casse l’arrêt de la CA et retient que dès lors que le lien de causalité entre la maladie de la victime et la molécule elle-même est démontré, il incombe à chacun des labos qui a fabriqué et vendu cette molécule de prouver que ce n’est pas son produit qui est à l’origine du dommage.

  1. L’indemnisation de la victime facilitée par le renversement de la charge de la preuve/ Un allègement de la charge de la preuve au profit de la victime/ un assouplissement fondé sur l’équité des règles relatives à la charge de la preuve

Une fois rapporté le rôle causal de la molécule DES dans la pathologie de la victime, la responsabilité du laboratoire suppose encore que ce produit puisse lui être imputé. La Cour de cassation a retenu une condamnation in solidum (B) en écartant l’action collective. 

  1. L’action collective écartée

Selon la formule classique de l'article 1315 du Code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Il appartient en effet à la victime de faire la preuve du lien causal entre le fait illicite et son dommage, ce qui implique que le doute profite au défendeur. La demanderesse s‘est heurtée à une difficulté singulière : la société UCB Pharma et la société Novartis santé familiale étaient, l‘une et l‘autre, fabricantes en France de la même molécule, distribuée sous deux appellations différentes. Or, la victime n‘est pas parvenue à précisément identifier le médicament ayant été administré à sa mère, y compris en produisant des attestations médicales faisant référence au « Distilbène ». En effet, compte tenu de la position dominante de la société UCB Pharma sur le marché, ce nom commercial était communément employé, même par les médecins, en lieu et place du terme générique de l‘hormone de synthèse, à savoir le diéthylstimbestrol (DES). Par conséquent, la Cour d‘appel a infirmé la décision des premiers juges ayant fait droit à la demande principale de la victime dirigée contre la société UCB Pharma.

A titre accessoire, la demanderesse a sollicité la condamnation solidaire des deux laboratoires, en faisant valoir que chacun avait concouru à son dommage, en commercialisant ensemble et au même moment, l‘hormone de synthèse DES sous deux noms différents. Il peut être déduit de cette circonstance de fait que c‘est nécessairement un produit fabriqué par l‘un des deux laboratoires, ou même les deux ensemble, qui est à l‘origine du dommage. Juridiquement, l‘argumentation était fondée sur la notion de faute collective qui permettait de rapprocher les membres du groupe d‘où le dommage est issu à des coauteurs. Cette jurisprudence a ainsi inspiré les rédacteurs de l‘avant-projet Catala qui proposent, lorsqu‘un dommage est causé par un membre indéterminé d‘un groupe, de retenir la responsabilité solidaire de tous les membres identifiés, sauf pour chacun d‘eux à démontrer qu‘il ne peut en être l‘auteur.  

Mais le professeur Philippe le Tourneau affirme qu’une faute collective « n‘est pas l‘addition de faute individuelle de divers participants à l‘action commune : elle est une faute propre au groupe lui-même, pris en tant qu‘ensemble ». Ce raisonnement, déjà original lorsqu‘il est appliqué aux dommages survenus au cours d‘un jeu collectif ou d‘une activité de chasse, ne paraît pas transposable à la situation de deux laboratoires concurrents ayant mis sur le marché deux produits identiques sous des appellations différentes. Ces entreprises ne forment nullement un groupe, ayant commis une faute dommageable qui lui serait propre. Il n'existe en effet aucun lien entre les laboratoires recherchés en réparation par la victime si ce n'est la fabrication du même produit de santé. C’est pourquoi la Cour d‘appel a jugé que rien ne permettait d‘affirmer que les deux produits avaient concouru ensemble à la production du dommage et qu‘aucun élément de preuve d‘une administration de Distilbène ou de Stilboestrol Borne n‘était versé aux débats. Par conséquent, la victime a été déboutée de sa demande en condamnation solidaire des deux laboratoires.

  1. La dispense de preuve de l'imputabilité du dommage à tel ou tel établissement : la responsabilité in solidum retenue

Si la preuve du lien causal entre le fait illicite et son dommage porte sur un fait juridique, elle peut se faire par tout moyen, mais reste très souvent redoutable à établir. Face à cette situation, le législateur et la jurisprudence s'autorisent parfois à changer la donne par le biais de « présomption de causalité ».

La première chambre civile n‘a pas accueilli le moyen tiré de l‘existence d‘une faute collective des laboratoires. Elle a pourtant invité les juges du fond à retenir une responsabilité in solidum des deux laboratoires, à moins que l‘un d‘eux ne réussisse à rapporter la preuve qu‘il ne peut être à l‘origine du dommage. En effet, pour censurer l‘arrêt attaqué, la Cour de cassation a jugé qu‘il « appartenait (…) à chacun des laboratoires de prouver que son produit n‘était pas à l‘origine du dommage ». Elle s‘est ainsi fondée sur une présomption de rattachement du fait dommageable aux laboratoires, déduite de la constatation de leur rôle dans la commercialisation du DES. Ce renversement de la charge de la preuve peut être ramené à celui de l‘article 102, alinéa 1er de la loi du 4 mars 2002, qui dispose qu‘« il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n‘est pas à l‘origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d‘instruction qu‘il estime utiles. Le doute profite au demandeur ». Cette présomption de causalité aboutit à faire peser sur les fournisseurs de produits sanguins la charge de la preuve que leurs lots sont étrangers au dommage subi par la victime.

Alors qu’en matière pénale cette condamnation « au bénéfice du doute » de la participation causale du défendeur au fait dommageable serait inenvisageable, elle peut être envisagée en matière civile dans un contexte d‘incertitude causale, lorsque la participation fautive de plusieurs défendeurs à une même activité dommageable, même non concertée, est à l‘origine de dommages sériels. On voit alors le pouvoir d’adaptation de la responsabilité civile à de nouvelles catégories de dommages, en particulier ceux qui frappent un grand nombre de victimes à l‘occasion d‘un fait dommageable unique. En ce sens, le DES a été administré, des années 1950 jusqu‘à la fin des années 1970, à des millions de femmes dans le monde, dont 200 000 françaises. On évoque des dizaines de milliers de cancers imputables à ce médicament. L‘aptitude à la preuve devant aussi être prise en compte dans la détermination de la charge de la preuve, il paraît légitime d‘en inverser le poids, même si cela aboutit à faire peser sur chacun des deux laboratoires le risque d‘une preuve impossible à rapporter.

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