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La RonDe De Nuit

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qui y fait sa «ronde de nuit». Et, pour échapper aux pressions des «deux clans opposés», il aimerait être simplement barman «dans une auberge des environs de Paris».

Mais il revient vers l’hôtel des Bel-Respiro et revient aussi sur son passé où, soucieux d’assurer la prospérité de sa mère, il en était venu à travailler dans l’agence du Khédive («filatures, enquêtes, recherches en tous genres, missions confidentielles», «combinaisons à la petite semaine») à laquelle «les événements récents» ont permis de connaître «une extension considérable», de devenir le «Service du square Cimarosa» qui pratique «passages à tabac, vols, assassinats, trafics de toute espèce», à qui on «confie de hautes responsabilités», qui «cumule deux fonctions : celles d’un organisme policier et d’un “bureau d’achat” stockant les articles et les matières premières introuvables d’ici quelque temps», car c’est aussi la «Société Intercommerciale de Paris-Berlin-Monte-Carlo». Mais, de part et d’autre, on lui demanda de commettre un attentat : contre Normand et Philibert et contre Lamballe. Happé par les uns et les autres, il ne se sentait pas à la hauteur des exigences de sa situation d'«agent double», ne pouvait prendre une position définitive. Voir entrer dans l’immeuble «un homme, les menottes aux poignets» lui fit imaginer les membres du réseau passant «à la magnéto» et se demander s’il pourrait «vivre avec ce remords». Or cet homme fut plus tard amené parmi les fêtards, «son visage inondé de sang, titubant, s’affalant au milieu du salon» et on décida d’en faire «un martyr», de le faire «mourir pour ses idées». Le narrateur se sentit alors poussé à se dénoncer au Khédive comme «la princesse de Lamballe», à le blesser ; puis, dans sa voiture, fut poursuivi par le cortège des autres, jusqu’en dehors de Paris.

Analyse

(la pagination indiquée est celle de Folio)

Intérêt de l’action

Dans ce roman, qu’on pourrait considérer comme un roman historique, qui a des caractères du roman policier mais est surtout une plongée dans l’âme du protagoniste, le lecteur est entraîné dans la ronde qu’indique le titre, une double ronde car on peut distinguer deux mouvements dont chacun présente une version possible de la même vie :

- la première version (13-67) restitue les quelques heures qui ont culminé dans l’arrestation des membres du réseau ;

- la seconde (68-155) est une longue rétrospective puis une reprise (d’où de nombreux allers et retours entre le présent et le passé) de la «carrière» du protagoniste qui, avec les mêmes éléments initiaux, a pris une autre décision, a accompli les deux missions en dénonçant «le chef du R.C.O.» et en «commettant un attentat contre le Khédive» (151).

D’une narration somme toute traditionnelle, Patrick Modiano est passé à un «stream of consciousness».

La lecture doit être très attentive car :

- la spirale du monologue intérieur que le narrateur écrit, semble-t-il, à la veille de son procès est vertigineuse ;

- le texte est très compact, surtout dans le second mouvement, le premier étant divisé en sections qui passent de la scène où le narrateur est avec le Khédive et ses amis (13-20 ; 27-38 ; 47-67) à celles où il se trouve avec ses vrais amis, Coco Lacour et Esmeralda (21-27 ; 38-47) ;

- la vitesse varie, surtout entre les deux mouvements. Le premier est marqué par une tension où le récit est rapide (ainsi lors de l’arrestation des membres du réseau : «Tout s’est passé très vite», 67), par des ellipses hardies (le passage brutal de «Le coup de filet est pour cette nuit...» à, tout de suite après, «Un carnet jaune...» [18] et par l’entremêlement des propos qui fait, par exemple, que se juxtaposent «On veut jouer les galants?» avec «C’est le type qu’ils ont trouvé» (38). Le second mouvement est dominé par la méditation au point que même la poursuite en automobiles de la fin (150-166) se déroule avec une grande lenteur et (le comble !) est laissée en suspens. À la différence de ce qui se passe à la lecture d’un roman policier, le lecteur n'atteint pas une vérité au bout de l'attente, vérité qui clôrait et impliquerait un retour à l'ordre. Mais l’auteur lui offre une occasion remarquable de continuer sa propre enquête en recherchant dans le texte de nouveaux indices. Il lui évite la déception qu’on éprouve lors de la résolution finale, car d'habitude la levée du mystère et l'établissement des culpabilités engendrent une déception en mettant fin à la tension de l'attente et au désir qu'elle procure.

La chronologie, tout à fait nette et linéaire, dans le premier mouvement, se fait floue et même confondante dans le second, le présent et le passé étant étroitement entremêlés. En superposant les époques, Patrick Modiano crée des effets de perspectives auxquels on doit une profondeur de champ remarquable qui contribue à donner leur épaisseur au personnage. Ainsi apparaissait ce temps, propre à lui, qui est une sorte d'immobile présent, qui rassemble et embrasse les différentes époques d'une existence.

Une autre incertitude est suscitée d’emblée par le point de vue qui est d’abord, dans les premières pages, le point de vue objectif d’un observateur de la scène, d’un narrateur hétérodiégétique. Celui qui deviendra le protagoniste n'est présent qu'implicitement, seules les questions du Khédive et de Monsieur Philibert laissant sous-entendre la présence à leur côté d'une autre personne qui, elle, ne parle pas, mais est désignée par les mots «mon petit» (15), «mon chéri» (17), «mon enfant» (18). Puis il devient un «on» (19) considéré donc avec un certain détachement. Et c’est seulement en 21, avec «C’est pour cela que je les aime» qu’apparaît le narrateur homodiégétique, ce «je» qui sera ensuite à peu près constant. Il y a d’apparentes ruptures en 50 («Quand vous étiez enfant») et en 61 («Te rappelles-tu?»), mais le narrateur s’adresse à lui-même, à la façon d’Apollinaire dans “Zone”.

Le monologue intérieur, qui tourne sans cesse, touche un sujet, le quitte, va vers d’autres, revient au premier, etc., se déroule avec un désordre, une incohérence, une imprécision remarquables surtout dans ce passage : «Et tous me condamnent à mort. Ce soir, il faut que tu te couches tôt. Demain, c’est jour d’affluence au bordel. N’oublie pas tes fards et ton rouge à lèvres. Exerce-toi encore une fois devant la glace : ton clin d’oeil doit avoir la douceur du velours. Tu rencontreras beaucoup de maniaques qui te réclameront les choses les plus invraisemblables. Ces vicieux me font peur. Si je les mécontente, ils me liquideront. Pourquoi n’a-t-elle pas crié : “VIVE LA NATION ! Moi, je le répéterai autant de fois qu’ils le veulent. Je suis la plus docile des putains.» (64)

La volonté de confusion est nette. Le lecteur peut se demander, entre autres choses :

- si Coco Lacour et Esmeralda existent vraiment?

- s’il faut distinguer «Lamballe» qui est cité d’abord (28), qui est le chef du réseau des résistants que le narrateur a à identifier (124), «un type admirable...notre seul espoir» (124), de «la princesse de Lamballe», qui apparaît d’abord dans une sorte d’hallucination (59), qui devient le surnom donné au narrateur par «un caprice du lieutenant» (106) qui l’appelle aussi «Lamballe (136)?

- quelle est l’identité du narrateur qui s’interroge lui-même à ce sujet? ;

- de quelle façon se termine cette histoire? le narrateur a-t-il échappé au Khédive et à ses amis par, comme il le prévoyait en 62 «une dernière astuce, une dernière lâcheté»? il faut évidemment qu’il ait survécu puisqu’il mentionne «à l’heure où j’écris ces lignes» et qu’il doive avoir à subir un procès, dans cette période de l’après-guerre qu’on a appelée l’Épuration, puisqu’il imagine «toutes ces horreurs que Madeleine Jacob écrira sur mon compte» (68), cette grande journaliste ayant effectivement tenu la chronique judiciaire dans le journal de la Résistance, “Libération”, d'Emmanuel d'Astier de la Vigerie ; a-t-il été exécuté comme il le prévoit?

Ce sont des questions que se pose un amateur de fiction traditionnelle. Sachant qu’il a brouillé les pistes, le narrateur se moque de ce «maniaque qui s’intéressera peut-être, dans quelques années, à cette histoire. Il se penchera sur la «période trouble» que nous avons vécue, consultera de vieux journaux. Il aura beaucoup de mal à définir ma personnalité.» (152) - «Je donne à mon biographe l’autorisation de m’appeler simplement “un homme” et lui souhaite bien du courage... Il ne comprendra rien à cette histoire. Moi non plus. Nous sommes quittes.» (155-156).

Ce «biographe», ce «maniaque», c’est évidemment Patrick Modiano qui, d’une part, agit en romancier traditionnel, écrivant à la suite d’une enquête et, d’autre part, contredit cette attitude par sa volonté de ne pas satisfaire la curiosité du lecteur, de saboter le réalisme, son livre semblant relever de l’entreprise de contestation que fut le Nouveau Roman, son souci semblant être avant tout littéraire.

Intérêt

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