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L'Ensorcelée De Barbey D'Aurevilly

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t jeté par les bergers? — à une jeune femme, la noble Jeanne-Madeleine de Feuardent, que la Révolution a réduite à devenir maîtresse Le Hardouey, c’est-à-dire l’épouse d’un riche paysan (4-7). Elle rencontre de temps en temps le prêtre, qui se borne à l’utiliser comme messagère pour la chouannerie moribonde, chez La Clotte, une vieille infirme farouchement «aristocrate» (8-9). Poussée à bout par la froide indifférence de l’abbé, Jeanne décide de se venger, semble-t-il en faisant appel aux pouvoirs surnaturels des bergers (10). Le même soir, Le Hardouey rencontre ces derniers sur la lande: ils lui tendent un miroir dans lequel il voit sa femme et l’abbé en train de lui brûler le cœur. Il s’évanouit (11). Au matin, il se rend chez l’abbé, parti depuis la veille chez une vieille amie et toujours absent, puis disparaît, et on retrouve Jeanne noyée dans le lavoir (12). La Clotte se rend à son enterrement et y meurt lynchée par les villageois qui l’accusent d’avoir envoûté Jeanne et ne lui pardonnent pas son royalisme fièrement affiché (13). Le Hardouey reparaît auprès des bergers — c’est du moins ce qu’ils raconteront ensuite — et leur demande à son tour un moyen de se venger de l’abbé: il n’y a «qu’une balle qui puisse tuer un La Croix-Jugan», répondent-ils. Plus tard, le jour de Pâques, alors qu’il célèbre de nouveau la messe pour la première fois et qu’il est sur le point de consacrer l’hostie, La Croix-Jugan, frappé d’une balle, s’effondre sur l’autel (14). Quant à la cloche entendue au début du roman par les deux voyageurs, elle appartient à «la légende [qui] vint après l’histoire». Un forgeron nommé Pierre Cloud aurait entendu sur la lande une mystérieuse cloche et vu à travers les trous du portail de l’église de Blanchelande, fermée depuis la tragédie, le fantôme de La Croix-Jugan célébrant une messe impossible et désespérée: parvenu au moment de la consécration, l’abbé ne peut poursuivre et, tel Sisyphe, doit recommencer indéfiniment jusqu’au lever du jour (15-16).

Critique

L’Ensorcelée est bien un roman historique, mais les guerres de la chouannerie en sont plutôt, pour reprendre une distinction établie par Barbey, le théâtre que le sujet. Certes, l’Histoire est présente, mais peu sous la forme d’événements ou de personnages réels. En fait, il s’agit surtout de restituer l’atmosphère essentielle d’une époque et de contribuer à l’élaboration du mythe du chouan. À l’image de son objet, la narration s’organise selon une structure qui répond à un cheminement mythique. Ainsi les deux premiers chapitres qui servent de «frontispice» (chap. 2) au roman relatent la transmission d’une information, le contenu de cette information étant le roman lui-même. Le lecteur assiste donc d’emblée à la perpétuation d’une tradition orale: Tainnebouy raconte au «je» une histoire que ce dernier racontera plus tard «à sa manière» (2). Or la connaissance qu’a Tainnebouy des événements est elle aussi médiate: il n’en a été que très rarement le témoin direct. Il s’inspire donc de multiples récits, «dieries» ou «jaseries», provenant d’informateurs divers tels que Pierre Cloud, les commères locales, ou d’autres encore. Cette forme de parole en circulation permanente, sans cesse reproduite et réappropriée, qu’est-elle sinon la forme même du mythe? Pour Barbey, celui-ci livre l’Histoire en profondeur car il la dit poétiquement: «Les commères, après tout, sont des poétesses au petit pied qui aiment les récits, les secrets dévoilés, les exagérations mensongères, aliment éternel de toute poésie; ce sont les matrones de l’invention humaine qui pétrissent, à leur manière, les réalités de l’Histoire» (4). La poésie du mythe naît de la distorsion qui se glisse dans l’espace de la répétition. Chaque protagoniste y infiltre sa part de transformation et enrichit ainsi le matériau collectif. Ce processus est celui-là même qui préside à la genèse fictive de l’histoire romanesque: «Je la raconterai à ma manière. [...] Donnera-t-elle à ceux qui la liront la même volupté de songerie?» (3). Au lecteur de poursuivre à son tour la chaîne mythique.

Roman historique, l’Ensorcelée est aussi paradoxalement roman fantastique: «S’il y avait dans l’histoire de l’herbager ce qu’on nomme communément du merveilleux (comme si l’envers, le dessous de toutes les choses humaines n’était pas du merveilleux tout aussi inexplicable que tout ce qu’on nie, faute de l’expliquer!), il y avait en même temps de ces événements produits par le choc des passions» (2). Cet «en même temps» exprime toute l’ambiguïté du fantastique aurevillien: s’agit-il d’une histoire magique ou psychologique, d’un ensorcellement ou d’une passion? Le texte joue sans cesse d’un surnaturel donné et refusé à la fois.

À propos de l’Ensorcelée, Barbey d’Aurevilly parle de l’«audacieuse tentative d’un fantastique nouveau, sinistrement et crânement surnaturel» (lettre à Trébutien, 22 novembre 1851). Toutefois, deux épisodes seulement sont véritablement surnaturels, et encore... Tout d’abord, ce mystérieux son de cloche entendu au début par les deux voyageurs (2) ne peut être mis en doute puisqu’il précède la fiction, c’est-à-dire est censé appartenir au réel. Mais rien ne garantit qu’il relève du surnaturel et les derniers mots du roman laissent volontairement persister cette incertitude: le narrateur renonce à son projet de vérifier par lui-même les dires de Pierre Cloud. L’autre épisode apparemment surnaturel est celui du miroir magique (11), mais l’hypothèse de l’hallucination de Le Hardouey, seul témoin narrateur, ne peut être tout à fait exclue. Remarquons surtout que le fantastique sert ici le genre historique et l’idéologie

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