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Les Frontières De l'Humain

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de l'adaptation des espèces à leurs milieux, (ii) ils peuvent être analysés dans les termes d'"inné" et d'"acquis", (iii) enfin, seulement disponibles à des phases précises du développement de l'individu, chacun dépend d'une "énergie interne" nommée motivation.

En interprétant les comportements dits instinctifs comme des adaptations, les premiers éthologistes ne font rien d'autre que reprendre la position de Darwin. Cependant, comme on verra plus loin, cette interprétation peut faire problème car elle dépend directement de la conception que l'on se fait de la sélection naturelle. En recourant aux notions d'inné et d'acquis, les fondateurs de l'éthologie introduisaient un débat dans lequel biologistes au sens large et grand public s'embourbent aujourd'hui encore bien souvent (voir, pour exemple, la "rencontre" entre Michel Onfray et Nicolas Sarkozy de février 2007). Il convient de rappeler que ces termes d'inné et d'acquis, sont introduits par Francis Galton (sous les formes anglaises de "nature" et "nurture") dès la fin du XIXème siècle, c'est à dire avant la création de la génétique. Mais l'entre deux guerres du XXème siècle est aussi l'époque du développement de la génétique pendant laquelle les sommités de la discipline fournissent les gros bataillons des "sociétés pour l'eugénisme". Alors que "héréditaire" (inherited) et "contrôlé génétiquement" (genetically controled) commencent à être allégrement confondus, que toute "déviance" apparemment héritée (de "l'idiotie", au "vol" et jusqu'à "la maternité hors mariage" (!) est susceptible de donner lieu à des mesures eugénistes, la théorie de l'instinct proposée par Lorenz et Tinbergen, représente la conformité génétique, sélectionnée et naturelle. Reçue aussi comme nouvelle théorie scientifique elle est pleinement dans l'air du temps.

On attendra donc 1953 pour que soit publiée "une critique de la théorie du comportement instinctif de Konrad Lorenz" . Son auteur, Daniel Lehrman, synthétise sa critique en deux phrases: "Toute théorie qui considère l'instinct comme immanent, préformé, héréditaire ou dépendant de structures nerveuses spécifiques, court-circuitera l'analyse et l'étude du développement du comportement. Toute théorie de ce genre tend inévitablement à détourner l'attention des chercheurs de l'étude des interactions internes à l'organisme et des interactions entre l'organisme et l'environnement qui alimentent le développement du comportement instinctif". Lehrman ne s'avance pas à la légère: Lorsqu'il publie son article il travaille encore à sa propre thèse (consacrée au comportement, ou instinct, reproducteur de la tourterelle) qui est une minutieuse mise à l'épreuve expérimentale de ses idées. On peut aisément s'en convaincre à la lecture parallèle de sa critique et du résumé de ses résultats. La critique est rude mais elle contient une méthode nouvelle pour l'étude ces comportements dits "instinctifs".

Et les années 60 et 70 confirment la valeur opérationnelle des propositions de Lehrman: les comportements reproducteurs d'oiseaux, de mammifères et aussi d'insectes (pourtant réputés de simples "automates génétiques") sont abordés avec succès du point de vue de leur développement et de leur construction: les interactions neuro-endocriniennes, internes à l'organisme et d'autres entre l'organisme et son environnement (incluant partenaires et jeunes, compris depuis comme "stimuli motivationnels" et non plus comme simples " stimuli déclencheurs" du comportement) rendent compte du déroulement habituel de ces séquences comportementales, sans intervention d'un quelconque programme génétique. L'organisation du comportement se réalise à un niveau d'intégration où les gènes n'ont pas de rôle directeur, ni celui de "plan d'architecte", ni celui de "programme informatique", pour reprendre les métaphores les plus employées par les "instinctivistes".

C'est en ce sens que les comportements instinctifs ne sont pas innés, ni programmés génétiquement et qu'ils sont, sinon acquis (au sens où ils ne dépendent pas systématiquement d'apprentissages) au moins constamment dépendants et liés aux conditions externes. Dans cette construction chaque étape comportementale produit les conditions aussi bien internes qu'externes de la réalisation de l'étape suivante. Enfin c'est à travers ces interactions que les motivations se construisent aussi, pas à pas: Par exemple c'est l'allongement de la durée du jour de la fin d'hiver qui stimule la mise en place de la motivation reproductrice des oiseaux, mais ce sont les interactions avec les "stimuli motivationnels", partenaire, nid, oeufs, enfin jeunes oisillons, qui maintiennent et nourrissent cette motivation.

Pour utiliser une terminologie un peu plus avancée que les notions d'inné et d'acquis, on dira que les comportements dits instinctifs sont une partie du phénotype de chaque organisme. Et s'ils n'ont pas un "déterminisme génétique" unique, ils dépendent de déterminants internes, parmi lesquels les gènes, bien entendu, mais en interaction permanente avec des déterminants externes. C'est bien en étudiant le développement du comportement (ou, mieux, le comportement pris comme un développement) qu'on réalise le mieux la limite et la faiblesse théorique d'une approche en termes d'inné et d'acquis. Disons que ces notions ont épuisé leur valeur explicative et gardons les pour l'histoire.

On voit bien l'erreur et la sorte d'injustice qu'il y aurait, en oubliant ce débat et ces résultats, à confondre l'éthologie avec la théorie de Lorenz, un de ses fondateurs. En effet l'éthologie causale et la somme de données empiriques qu'elle propose depuis des dizaines d'années, s'appuient sur la remise en cause de la théorie de l'instinct qu'on qualifiera de "lorenzienne" dès lors que Tinbergen lui-même s'en est éloigné avec ses élèves comme Robert Hinde.

Désormais seul, avec quelques élèves comme Eibl Eibesfeld, Lorenz maintiendra l'essentiel de ses positions jusque dans un dernier essai dont l'argumentaire strictement théorique et abstrait ne pouvait convaincre. Et surtout pas Lehrman que Lorenz présentait contre toute vraisemblance comme un "behavioriste". Cette attitude de Lorenz amènera Lehrman à écrire une réponse où il rappelait son argumentation de 1953 et revendiquait sa position d'éthologiste, biologiste spécialiste de l'étude du comportement naturel et évolutionniste darwinien.

La communauté des éthologistes expérimentateurs s'était donc largement habituée à ne plus utiliser les références instinctivistes et lorenziennes, lorsque celles-ci furent remises à l'honneur par les "sociobiologistes" qui se préoccupaient avant tout de l'évolution du comportement. En pleine période de domination de la "génic sélection"(voir plus bas) "la sociobiologie s'est constituée en explication alternative du comportement animal. Pour cela, il lui a fallu constituer un homme de paille, une caricature à sa convenance des études éthologiques, correspondant globalement aux théories instinctivistes des premiers éthologistes". Les artisans de l'éthologie causale étaient naturellement de ceux qui devaient s'en émouvoir, beaucoup d'autres biologistes, notamment généticiens molécularistes, ne trouvant au contraire dans ce retour de l'instinctivisme que le confort d'une pensée réductionniste, directement accessible. Comment pouvait-il en être autrement alors qu'eux mêmes se consacraient à la chasse au gène du crime, de l'homosexualité ou de la schizophrénie ?

Toujours est-il que la sociobiologie naissante (dénomination abandonnée au profit de celle, plus neutre, d'écologie comportementale) a joué sa part dans le maintien, aussi bien dans la communauté scientifique que dans le grand public, de la représentation simple d'un comportement instinctif "inscrit dans les gènes", et dans la difficulté pour beaucoup d'anthropologues d'admettre la présence de tels comportements dans l'espèce humaine. Il parait donc important de répéter, encore et encore, que l'éthologie a développé aussi une approche non réductionniste, non préformationniste, pour tout dire non instinctiviste, des comportements animaux. Les animaux ont une ontogenèse, leurs comportements en font partie, et des éléments de l'environnement sont constamment intégrés à cette ontogenèse.

C'est pourquoi même si Elisabeth Badinter a bien raison de critiquer le dogme du déterminisme biologisant de ce qu'elle nomme la "vocation maternelle" d'Homo sapiens, on peut regretter qu'elle ne rappelle pas que la critique de ce dogme, contre son caractère réductionniste au moins, est valable pour les autres animaux. Certes ce travail semble d'abord incomber aux éthologistes (et c'est bien pourquoi j'écris ce texte) mais il parait d'autant plus important que nous ne pouvons négliger que notre espèce est aussi animale, mammifère, primate et

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